Mais le gouvernement, de plus en plus dominé par la camarilla des ultras, ne répond que par limogeages, arrestations, sanctions. Le 29 octobre, le ministre de l'Information Pio Cabanillas est écarté. En février, c'est le tour de Licinio de la Fuente, ministre du Travail. De nombreux hauts fonctionnaires sont contraints d'abandonner leurs postes.

Les arrestations se multiplient : membres de la Junte démocratique, de l'assemblée de Catalogne, personnalités politiques, étudiants, comédiens. Mais l'arrestation qui va faire le plus de bruit est celle de la doctoresse Eva Forest, épouse du dramaturge Alfonso Sastre, accusée de complicité dans le meurtre de l'amiral Carrero Blanco. Répression encore dans la presse : de nombreux journaux sont saisis, parfois interdits ; les journalistes sont appréhendés, certains directeurs renvoyés.

Violence

Peu à peu se créé un engrenage de la violence dont les manifestations les plus sanglantes ont lieu le 13 septembre à Madrid, où l'explosion d'une bombe sur la place de la Puerta del Sol fait 11 morts, et surtout au Pays basque où, à partir de la mi-avril 1975, prolifèrent assassinats et attentats. Dans les trois provinces septentrionales, de nombreux policiers sont abattus par les militants de l'ETA, cependant que les guérilleros du Christ-Roi (extrême droite) se lancent dans de meurtrières expéditions punitives.

Débordé, le gouvernement proclame en avril l'état d'urgence au Pays basque, et les policiers espagnols passent même clandestinement la frontière pour venir enquêter dans le sud-ouest de la France, provoquant de graves tensions avec les autorités françaises.

Dans ce climat de répression et de contestation générale, l'Église, qui avait cru et encouragé les promesses d'ouverture d'Arias Navarro et mis une sourdine à ses attaques contre le régime, rejoint peu à peu l'opposition, surtout à partir de l'époque (en mai) où des prêtres basques sont arrêtés et torturés. Mgr Enrique y Tarancon, archevêque de Madrid, dénonce vigoureusement l'escalade de la violence et du terrorisme : « Je les réprouve en tant qu'évêque et en tant qu'Espagnol », tandis que l'évêque des Canaries menace d'excommunication le gouverneur de cette province. La conférence épiscopale exige la reconnaissance des droits d'association et publie un document sur la réconciliation du peuple espagnol. La tension grimpe dans les relations du clergé avec l'État.

Mais, pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, on perçoit nettement les grognements de l'armée espagnole. Sans aucun doute, l'exemple portugais a impressionné les capitaines espagnols. Dès le 15 octobre, une première indication est donnée par le ministre de l'Armée lui-même, le général Coloma Gallegos, qui déclare dans un discours : « Les forces armées sont prêtes à élargir ce que les lois ont restreint, et c'est leur raison d'être. »

Contestation militaire

La véritable crise éclatera en février. D'abord, au début du mois, on apprend que 2 000 officiers ont signé une pétition en faveur de l'amnistie générale pour tous les exilés, les prisonniers ou les condamnés pour raison politique, et pour les objecteurs de conscience.

Quelques jours plus tard, un capitaine de Barcelone est muté en Afrique pour avoir refusé de révéler à ses chefs le nom de ses camarades affiliés aux commissions ouvrières. Deux officiers, le commandant Busquets et le capitaine Julvez, qui protestent, contre cette mesure, sont immédiatement incarcérés. Alors, 25 officiers du même corps expédient une lettre au commandant de la région militaire de Catalogne, lui signifiant que l'« armée n'est pas une force de maintien de l'ordre public, mais une force de défense du peuple ». Ils ajoutent que les arrestations d'officiers « pourraient rompre la fameuse unité des militaires espagnols » et, par conséquent, « influer sur le processus de la succession de Franco ».

Ce sévère avertissement constitue une inquiétude de plus pour le régime vieillissant, occupé à résoudre des difficultés plus pressantes. Ainsi l'affaire du Sahara espagnol, qui empoisonne les relations avec le Maroc. Ainsi la pression exemplaire de la révolution portugaise à ses frontières. Ainsi et surtout une situation économique qui se dégrade : baisse de production industrielle de 10 à 40 %, 18 % d'augmentation du coût de la vie (28 % de relèvement des salaires) et 14 millions d'heures perdues pour fait de grèves.