Le Festival d'Automne peut aussi s'enorgueillir d'avoir aidé à la création de Luxe, par le groupe TSE, évocation assez creuse mais somptueuse de la belle époque du music-hall, dans le style rétro qui est à la mode, ainsi qu'à celle des Quatre Jumelles de Copi, dont Jorge Lavelli a su organiser dans l'insolite les rites sanglants et la bizarrerie très élaborée. Au Festival d'Automne, Grotowski a fait une démonstration (pas toujours concluante) des virtuosités corporelles de son Théâtre-Laboratoire, tandis qu'Andrei Serban, après lui, nous invitait à entendre le grec ancien d'une tragédie sous les voûtes gothiques : deux expériences qui valaient surtout à titre de curiosités.

Pari

Tout au long de la saison, le Théâtre national de Chaillot, dirigé par Jack Lang, nous a proposé des spectacles pour les enfants, qui ont parfois déconcerté les grandes personnes. Si la Turandot de Pintilié a séduit toutes les catégories de spectateurs par le beau clinquant de son kitsch et la présence très singulière d'une vingtaine de nains autour de la monumentale Andréa Ferréol, si même, à quelques réticences près, on a reconnu la subtilité poétique, l'adresse et les sous-entendus freudiens du Vendredi d'Antoine Vitez, d'après Michel Tournier, il n'en a pas été ainsi pour Les miracles, du même Vitez, qu'on a trouvés trop abstraits, interminables et gratuits. Jugement léger, à notre avis, sur un spectacle rigoureux, d'un dépouillement exemplaire, qui suivait à la lettre et à l'esprit le texte de saint Jean.

Était-ce, toutefois, un spectacle pour enfants ? La question reste posée, comme elle le demeure pour la rêverie presque muette de Claude Régy, intitulée Vermeil comme le sang. Dans un ton surréaliste, avec un clin d'œil à Bob Wilson, elle était fort loin, il faut bien le reconnaître, des illustrations littérales pratiquées au Théâtre du Petit-Monde. Mais ne serait-il pas temps de traiter les enfants en adultes ? Leur absence de préjugés les rend plus réceptifs aux audaces et à l'illogisme apparent. C'était un pari, il est à demi tenu. Le résultat est honorable.

Puisque nous en sommes à évoquer Claude Régy et ses recherches (pas toujours comprises), parlons tout de suite de La chevauchée sur le lac de Constance, qui fut l'événement de l'hiver à cause de la prestigieuse distribution réunie à l'Espace Cardin, où l'on a pu voir ensemble Jeanne Moreau et Delphine Seyrig, entourées de Michel Lonsdale, Samy Frey et Gérard Depardieu. La pièce de Peter Handke ne valait peut-être pas cette écrasante pléiade de vedettes, qui avait attiré un public peu fait pour la comprendre, mais elle ne méritait pas non plus ces réactions indignées, comme s'il se fut agi d'un spectacle scandaleux. Il y aura eu maldonne de part et d'autre, sans autre profit qu'un phénoménal battage publicitaire.

Sagesse

Avec la Comédie-Française et son annexe, l'Odéon, nous revenons à un théâtre plus sage. Non sans surprise toutefois, si l'on songe à l'extravagant Périclès (de Shakespeare) tel que nous l'a montré le metteur en scène britannique Terry Hands, moins bien inspiré que pour son admirable Richard III. Demi-nus, les dignes sociétaires semblaient participer, à leur corps défendant, à quelque bal des Quat'zarts qui n'était plus de leur âge, pour jouer une œuvre médiocre, dont on n'est pas sûr qu'elle soit du grand Will. On ne pouvait guère se tromper plus complètement, plus aveuglément, malgré le talent de François Beaulieu, qui résistait pourtant à cette mascarade. Avec l'Ondine de Giraudoux, on prenait moins de risque, sous la direction un peu lourde mais solide de Raymond Rouleau. Ceux qui le connaissent mal auront découvert la puissance et le charme du discours giralducien, tandis que ses fidèles ravivaient leurs souvenirs de Jouvet et de Madeleine Ozeray, créateurs de la pièce. Habitée, spontanée, vivante, la jeune Isabelle Adjani, qui fut déjà une remarquable Agnès, était tout à fait digne de ce rôle difficile, où son charme a fait l'unanimité.

Pour l'Henri IV de Pirandello, autre chef-d'œuvre (d'abord présenté à l'Odéon, puis repris à la salle Richelieu), Rouleau n'a pas résisté à son goût des reconstitutions pesantes. La folie du personnage, interprété par François Chaumette, paraissait souvent trop théâtrale pour être émouvante. Dommage. Bref, une saison ambitieuse qui n'a pas tenu ses promesses.