La situation économique demeure satisfaisante malgré une hausse des prix un peu forte : 6,9 % pour 1972. La situation sociale est, dans l'ensemble, plutôt calme, et la politique contractuelle, bien qu'elle soit poursuivie sans enthousiasme par le nouveau Premier ministre, a porté ses fruits : l'année 1972 s'achève sur la conclusion d'accords de salaires à l'EGF, à la SNCF, à la RATP.

Campagne

Précédée de six mois de bombardements intensifs à la radio et à la télévision, la campagne proprement dite se résume en deux mois de mitraillage incessant. L'opinion harcelée, bousculée, suppliée, menacée, regarde avec étonnement le personnel politique s'abandonner à la surenchère, à la hargne, voire à la calomnie. Au centre du débat, un document : le programme commun de la gauche, arme essentielle de l'opposition, cible principale de la majorité.

Ce programme prévoit notamment un développement hardi et rapide du niveau et des conditions de vie, un effort considérable d'équipement, de logement, d'aménagement, un allégement de la fiscalité pour les moins favorisés, la nationalisation immédiate de treize groupes industriels, des réformes – sociales, régionales, économiques, scolaires – audacieuses et promptes. Combien tout cela coûtera-t-il ? L'économie française ne va-t-elle pas s'effondrer, la récession et l'inflation succéder à l'expansion ? Tel est le premier débat qui, en fait, ne cessera pas jusqu'au scrutin sans que les controverses passionnées entre les leaders des deux camps éclairent vraiment le grand public.

La majorité s'efforce, outre ses réquisitoires contre le coût du programme commun, d'attaquer l'adversaire sur ses points faibles, là où des divergences évidentes subsistent entre les associés de gauche. Ainsi la politique européenne, étrangère et de défense du programme, qui porte les traces des contradictions de la coalition, est-elle âprement critiquée. Quant aux larges transformations que l'opposition propose d'apporter aux institutions, elles sont également clouées au pilori. Le programme commun, disent les gaullistes et leurs associés, entraînerait la ruine de la France, le retour au régime des partis, la fin de la politique d'indépendance nationale, l'abandon de la souveraineté entre les mains des Européens – ou alors la dislocation de la Communauté. Il s'agit au contraire, réplique l'opposition, de revenir à la démocratie, d'assurer une prospérité plus équitablement répartie, de mieux garantir l'autorité et la sécurité du pays.

À ce dialogue de sourds, à ces deux monologues plutôt, s'ajoutent plusieurs querelles sur des points précis. La plus tendue et la plus sérieuse est celle dite du billet de retour ou, en termes savants, de l'alternance au pouvoir : pour la majorité, violemment anticommuniste, il ne fait pas de doute que le nouveau Front populaire installé aux leviers de commande ferait tout, y compris truquer ou supprimer les élections libres, pour le garder ; et que la détermination des communistes conduirait bientôt à une République populaire dont ils seraient les seuls maîtres. Les démentis, les explications parfois embarrassées, les plaidoyers de la gauche n'ébranlent guère les procureurs de la majorité, qui marquent là des points incontestables.

On se demande aussi, de part et d'autre, ce que ferait G. Pompidou en cas de victoire de la gauche : élu et chef de la majorité en place, pourrait-il appeler F. Mitterrand ou G. Marchais et présider les conseils, ratifier les décisions d'un gouvernement socialo-communiste ? Tandis que F. Mitterrand ironise, assurant que la gauche garderait G. Pompidou pourvu qu'il joue le jeu, le Premier ministre puis le président de la République lui-même donnent à entendre fort clairement qu'ils feraient appel du verdict du pays devant le suffrage universel par la dissolution de la nouvelle Assemblée ou, éventuellement, en provoquant une élection présidentielle. Répétant qu'il défendra quoi qu'il advienne les institutions de la Ve République, le chef de l'État ne s'engage pas moins, et à fond, dans la campagne. Il s'exprime ainsi dans une conférence de presse le 9 janvier 1973, puis à la télévision le 8 février, quatre jours avant l'ouverture officielle des hostilités, enfin le 10 mars, à la veille du second tour, interventions dont le principe est sévèrement critiqué par l'opposition.