Cet objectif, si on voulait le résumer d'une formule, quels que soient les engagements et les doctrines, exprimait tout simplement l'aspiration au bonheur. Cent quatre-vingts ans après le vieux cri de Saint-Just proclamant, le 13 ventôse an II : « le bonheur est une idée neuve en Europe », le bonheur à la Saint-Just, à peine modernisé, revenait à la mode.

Sur cette toile de fond, mouvante et nouvelle, la marche vers les élections, le scrutin lui-même, enfin ses conséquences, ont inscrit un large renouvellement des thèmes, des alliances et des perspectives de la vie publique. En apparence, rien n'est fondamentalement modifié : la majorité a reflué, mais en conservant le pouvoir et le contrôle du Parlement, la gauche a progressé sans toutefois accéder à la direction de l'État, le centre n'a pas réussi sa percée. On a même pu dire que la campagne législative n'était qu'une étape de la campagne présidentielle et que les divers candidats éventuels à l'Élysée se souciaient moins de renverser ou de préserver la majorité parlementaire que de se placer eux-mêmes en bonne position pour la bataille principale qui se déroulera en principe en 1976, mais peut aussi se livrer avant.

En fait, majorité, opposition et centre ont dû bon gré mal gré, ainsi qu'on va le voir, prendre en compte, sinon en charge, la transformation de la société française et, à leur manière, l'exprimer.

Succession

Au début de l'été 1972, la majorité était encore sous le coup d'un choc et de quelques secousses. L'échec relatif du référendum du 23 avril sur l'entrée de la Grande-Bretagne et de deux autres nouveaux partenaires dans la Communauté européenne avait été durement ressenti. Quarante pour cent d'abstentions, le « oui » ne l'emportant qu'à la minorité de faveur dans l'ensemble du corps électoral : l'infaillibilité présidentielle, mythe ou dogme, était entamée. L'UDR, ses alliés républicains indépendants et centristes allaient-ils perdre les élections ?

Quant aux secousses, les plus sérieuses et, pour l'avenir, les plus menaçantes paraissaient bien provenir de la série de scandales – ou du moins d'affaires diverses de corruption, concussion, compromissions et trafics en tous genres – qui défrayaient alors la chronique et menaçaient, en se développant, d'éclabousser des personnalités réellement importantes et non plus seulement des comparses ou les troisièmes couteaux de la distribution.

Face au malaise, à la crainte, au pessimisme qui régnaient dans les rangs de la coalition, au surplus divisée sur la tactique à suivre, le gouvernement Chaban-Delmas paraissait essoufflé, presque usé. Contre l'avis du président de la République, qui devait révéler publiquement cette divergence à sa conférence de presse de l'automne, le Premier ministre avait demandé et obtenu un vote de confiance à l'Assemblée nationale pour tenter de remonter la pente, de reprendre autorité. Le 24 mai, J. Chaban-Delmas avait recueilli ainsi l'appui de 368 députés contre 96 ; six semaines plus tard, alors que le Parlement venait tout juste de clore sa session, il n'en était pas moins conduit à se retirer avec son gouvernement, et le chef de l'État nommait le 5 juillet un nouveau Premier ministre, Pierre Messmer.

De toute évidence, Georges Pompidou avait voulu confier à l'ancien ministre des Armées des années 1961-1969, gaulliste à l'orthodoxie sourcilleuse et doté d'une image de marque d'intégrité et de fermeté, le soin de conduire la majorité à la bataille des élections. P. Messmer réunissait une équipe moins nombreuse que celle de son prédécesseur – 30 membres au lieu de 41. Les gaullistes historiques revenaient en force avec Foyer, Charbonnel, Germain. Les pompidoliens recevaient des promotions : Olivier Guichard était ainsi placé à la tête d'un vaste département comprenant l'équipement, le logement et l'aménagement du territoire, Jacques Chirac prenait l'Agriculture. Un troisième et important ministère à haut rendement électoral, les Affaires sociales, était confié à un revenant, l'habile Edgar Faure. Mais les cinq grands portefeuilles, ceux des Finances (Giscard d'Estaing), des Affaires étrangères (Maurice Schumann), des Armées (M. Debré), de la Justice (R. Pleven) et de l'Intérieur (R. Marcellin), ne changeaient pas de main.

Scandales

À peine a-t-on eu le temps de remarquer que la confiance de l'Assemblée n'a pas sauvé J. Chaban-Delmas et de s'étonner que, cette même Assemblée étant partie en vacances, P. Messmer puisse gouverner trois mois avant de se présenter devant elle, voici que d'autres nominations et démissions achèvent la mise en défense du régime et de la majorité. Le 12 juillet, Arthur Conte, ancien socialiste et député UDR, est placé au poste clef de président-directeur général de l'ORTF. Le 17 juillet, c'est au tour du secrétaire général de l'UDR, R. Tomasini, d'être pressé de remettre son poste à la disposition de sa formation et, en fait, du président de la République. Sa démission ayant été acceptée le 24 août, il a pour successeur, dès le 5 septembre, Alain Peyrefitte, nouveau chef d'état-major, placé ainsi à la tête du gros des forces.