La réputation d'honnêteté de P. Messmer ne suffit cependant, apparaît-il très vite, ni à asseoir son ascendant ni à faire reculer sur-le-champ le flot boueux des scandales. Accueilli froidement lors de ses premiers contacts avec la foule, notamment à Strasbourg en septembre, parfois maladroit dans ses propos, volontiers sec et cassant à la tribune ou à la télévision, plus caricaturé que flatté par un long portrait télévisé apologétique et forcé, le Premier ministre enregistre, par rapport à son prédécesseur, une chute verticale à l'indice de popularité dans les sondages d'opinion et il ne comblera jamais son retard à cet égard.

Quant à la chronique des scandales, elle est alimentée en septembre par l'affaire Aranda : ancien membre du cabinet de Chalandon, ministre de l'Équipement et du logement, évincé en juillet, Gabriel Aranda annonce des révélations considérables sur les malversations, pressions, combinaisons auxquelles auraient donné lieu les travaux publics et la construction malgré tous les efforts du ministre.

En définitive, après quelques péripéties cocasses ou périlleuses, les fameuses révélations engendreront l'exclusion de l'UDR d'un député de la Drôme, Sibeud, et, indirectement, la démission du même parti d'un député de Paris, Modiano. Un troisième élu de l'UDR, E. Charret, député de Lyon, est mis d'autre part en cause pour des affaires de proxénétisme et devra également quitter sa formation. Beaucoup de bruit pour peu de conséquences. Pendant ce temps se poursuit l'instruction de l'affaire Dega, ce contrôleur des impôts qui est le frère d'un ancien conseiller de J. Chaban-Delmas et qui est accusé de trafics et de faux. Le maintien en détention de E. Dega, dont le procès ne sera finalement appelé qu'à l'été 1973, suscite des protestations.

Préparatifs

Plus intéressants, plus importants aussi, sont les débats et les préparatifs qui ont pour objet les élections. Si P. Messmer ne réussit pas à s'imposer, en dépit du rejet, le 5 octobre, d'une motion de censure de l'opposition qui n'a recueilli que 94 voix, si J. Chaban-Delmas récupère après sa mise à l'écart, d'autres candidats éventuels de la majorité à l'élection présidentielle future se placent sur le devant de la scène. Giscard d'Estaing, après un an de silence en tant que chef de parti, fait sa rentrée le 8 octobre à Charenton. Edgar Faure, outre l'activité qu'il déploie aux affaires sociales, réunit en colloque à Beaune, les 5 et 6 novembre, les fauristes de ce Comité d'études pour un nouveau contrat social qu'il a lancé.

La discussion au sein de la majorité roule principalement sur trois thèmes : l'opportunité d'élections anticipées, que préconise en particulier mais en vain Michel Debré. Puis les investitures des candidats et, là encore, la controverse est serrée entre les alliés de l'UDR, qui réclament la pluralité des candidatures au premier tour, et les partisans gaullistes de l'unité de la majorité dans chaque circonscription. Après plusieurs ajournements de la publication des listes d'investitures, un compromis se dégage : on compte finalement 405 candidats d'union investis par les trois formations (dont 281 sont UDR, 75 républicains indépendants, 36 CDP et 13 non-inscrits) tandis que dans les autres circonscriptions (83) la majorité investit deux ou trois représentants. Enfin le troisième débat a trait au gaullisme : est-il trahi ou fidèlement mis en œuvre par G. Pompidou et le gouvernement ? Christian Fouchet, qui le juge trahi, rejoint parmi les non-inscrits Jacques Vendroux, beau-frère du général de Gaulle, Louis Vallon et quelques autres. Jean-Marcel Jeanneney passe aux réformateurs et figurera désormais à leur tête entre Lecanuet et Servan-Schreiber. La polémique ne cesse pas, malgré les répliques de G. Pompidou dans ses conférences de presse du 21 septembre et du 9 janvier 1973, dans son allocution de fin d'année et en diverses autres occasions.

Le pouvoir et la majorité se sont ainsi mis en garde non seulement en réorganisant leur dispositif, mais naturellement en prenant de nombreuses mesures et décisions inspirées par la conjoncture. Le plan de lutte contre l'inflation, rendu public le 7 décembre, est modeste. La généralisation de la retraite complémentaire, l'aménagement de l'ordonnance de 1945 sur les comités d'entreprise, la mensualisation de fait du SMIC, la création du poste de médiateur qui sera ultérieurement confié à Antoine Pinay, la création d'un Conseil supérieur de l'information sexuelle, de la régulation des naissances et de l'éducation familiale suivent le vote d'un budget qui porte la trace des préoccupations électorales. Quand Achille Peretti clôt, le 21 décembre, la législature au Palais-Bourbon dans une atmosphère houleuse et belliqueuse, quand P. Messmer présente à Provins, le 7 janvier, devant l'UDR, dans un vaste discours-programme, l'affiche électorale de la majorité, le décor est planté et les trois coups frappés : la campagne électorale peut commencer.

Gauche unie

Les huit mois qui suivent le référendum d'avril 1972 et préludent, jusqu'au début de janvier 1973, à la campagne électorale ont été mis également à profit par l'opposition pour s'organiser et lancer son offensive. Dès le 27 juin, les partis communiste et socialiste avaient solennellement signé et rendu public le programme commun de gouvernement qui constituait leur charte et auquel adhérent, le 12 juillet, les radicaux de gauche, dissidents du parti dirigé par J.-J. Servan-Schreiber. Tandis que les socialistes paraissent marquer un temps d'hésitation pendant l'été et semblent parfois se demander s'ils ne sont allés un peu vite et un peu loin, les communistes commencent à orchestrer vigoureusement les thèmes principaux de leur propagande, et d'abord l'existence du programme commun qui leur a permis de rompre leur isolement.