L'opposition, dont la Journée du silence – destinée à montrer sa force – a été un fiasco, utilise à nouveau l'arme de la mise en accusation constitutionnelle contre quatre ministres, mais le cœur n'y est plus. Le peuple est las de la grève. Allende a repris l'initiative.

Aussi le cabinet démissionne-t-il, le 31 octobre, pour « laisser les mains libres » au chef de l'État. À la satisfaction des modérés, tant de l'Unité populaire que de l'opposition, le nouveau gouvernement comprend trois militaires, dont le général Prats, ministre de l'Intérieur et vice-président de la République. En deux jours, ce dernier réussit à mettre fin à la grève des camionneurs et des commerçants.

Déchargé d'une grave préoccupation, le président Allende peut alors s'envoler, le 2 décembre, pour une tournée de treize jours dans 7 pays (Pérou, Mexique, USA, Algérie, Cuba, Venezuela, URSS). Devant une salle comble, il se fait, à l'ONU, l'avocat du tiers monde pour dénoncer les agissements des sociétés multinationales. « Le drame de ma patrie est celui d'un Viêt-nam silencieux », déclarait-il deux jours auparavant aux étudiants mexicains.

Le président chilien, qui est reçu avec enthousiasme à Cuba, y renouvelle ses attaques contre les sociétés multinationales. À Moscou, par contre, il se montre très discret à ce sujet. S'il obtient une augmentation de l'aide soviétique, il évite de trop s'engager dans le camp communiste. Peu de temps après la fin de son voyage, d'ailleurs, il rejette l'alignement sur l'URSS et entame, le 20 décembre, des négociations avec les États-Unis.

Certains signes témoignent d'une détente avec Washington. Le Fonds monétaire international (FMI), pratiquement contrôlé par les Américains, autorise le Chili à effectuer un tirage en devises étrangères et en droits de tirage spéciaux pour faire face au déséquilibre de sa balance des paiements. La Cerro Corporation, qui a été indemnisée, annonce son intention de reprendre ses investissements au Chili.

Le gouvernement Nixon semble devoir s'accommoder désormais de la présence de Salvadore Allende à la tête de l'État chilien. À la fin du mois de mars 1973, l'enquête d'une sous-commission sénatoriale confirmera les tentatives d'immixtion de l'International Telegraph and Telephone (ITT) dans les affaires intérieures chiliennes, et le Washington Post écrira, le 7 avril, que la CIA et le département d'État ont dépensé 20 millions de dollars en 1970 pour empêcher l'élection de S. Allende.

Élections

En janvier 1973, le président chilien, qui envisage avec plus d'optimisme l'échéance électorale, ordonne des mesures rigoureuses pour lutter contre l'inflation. Le 10, malgré les protestations de l'opposition, il instaure le rationnement alimentaire, et le gouvernement prend le contrôle de la distribution des produits essentiels ; le 21, cinq militaires de haut rang sont chargés de combattre le marché noir.

Selon leur habitude, les partis d'opposition réagissent en mettant en accusation constitutionnelle le ministre des Finances, qui permute avec celui de l'Économie, puis s'arrangent pour faire suspendre le ministre-secrétaire général par la Cour d'appel.

Le président Allende lance, le 5 février, la campagne électorale officielle en présentant le programme de l'Unité populaire. En cas de victoire, une Chambre unique remplacera le Congrès bicaméral actuel, annonce-t-il notamment. Violente et passionnée, la campagne fait plusieurs morts et blessés en quelques semaines.

Jusqu'au 4 mars, personne ne se risque à avancer des pronostics sur les résultats du scrutin. Toutefois, le net accroissement de la représentation de l'Unité populaire, qui recueille 43,39 % des suffrages, provoque une certaine surprise. La coalition gagne 9 sièges de députés et 3 de sénateurs. En outre, l'opposition n'obtient pas la majorité des deux tiers au Sénat, qui lui aurait permis d'évincer Allende.

Tirant la leçon de la victoire relative de l'Unité populaire, la démocratie chrétienne déclare, le 16 mars, qu'elle est prête à « aider » le gouvernement sans quitter une « opposition constructive ». Pour former son nouveau cabinet – dont les militaires sont exclus – le président fait appel, le 27 mars, à des modérés susceptibles de s'entendre avec les démocrates-chrétiens. Aussitôt, le MIR, qui n'avait déjà pas accepté l'entrée des militaires dans le précédent gouvernement, rompt avec le chef de l'État, qu'il accuse de « réformisme ».