Une série de tractations s'engage. La junte militaire au pouvoir est désireuse de voir l'ancien dictateur venir affronter en personne, à 77 ans, la réalité de l'Argentine d'aujourd'hui. L'exilé de Madrid, qui a recouvré tous ses droits, hésite à engager son autorité et son prestige – son mythe – par un retour aux conséquences imprévisibles.

Le 22 août 1972 se produit un événement qui pèsera lourd dans les mois qui suivront : seize détenus politiques sont tués à la base maritime de Trelew. Motif officiel : tentative d'évasion. Les guérilleros jurent de les venger.

La situation économique est alarmante : l'inflation – 60 % en un an –, la flambée des prix, la baisse du pouvoir d'achat, le chômage, provoquent l'agitation ouvrière. Les enlèvements de personnalités, industriels ou diplomates, les attentats (contre les militaires notamment), se multiplient. Au début d'octobre, tandis que les premières candidatures à l'élection présidentielle sont déposées, le général Lanusse annonce des réformes électorales, la plus importante étant l'élection au suffrage universel du président, dont le mandat est réduit de six à quatre ans.

Peron, qui a laissé passer la date limite du 25 août, propose un plan de « reconstruction nationale » en dix points. La junte lui réserve un accueil favorable. Cependant, le 17 octobre, jour de la loyauté (anniversaire de la libération de Peron : 17 octobre 1945), le pays connaît une vague d'attentats à la bombe. Peron, poussé par les siens, et dont le courage a été publiquement mis en doute par le général Lanusse, annonce son retour pour le 17 novembre.

Retour

D'Espagne, le leader multiplie les appels à la paix civile que son retour ne doit pas troubler davantage. « C'est en médiateur que je rentre » affirme-t-il, et de promettre la « réconciliation nationale ». Le gouvernement s'efforce de lui faire écho.

Accompagné de sa troisième femme, Peron quitte Madrid via Rome, mais sans être reçu par le pape comme il le souhaitait. Le 17 novembre, après dix-sept ans d'exil, il retrouve l'Argentine, accueilli sous la pluie par 300 péronistes sévèrement sélectionnés et 35 000 hommes sur le pied de guerre qui interdisent tout contact avec la population. Exceptée une tentative de rébellion à l'école des mécaniciens de la marine, qui tourne court, le pays, bien que tendu, reste calme. Le grand retour tant espéré n'aura rien eu de triomphal : Peron est comme exilé dans sa maison d'un faubourg de Buenos Aires.

Il entame cependant des entretiens politiques avec la plupart des dirigeants des nombreux partis, et notamment avec Ricardo Balbin, président de l'Union civique radicale (UCR), deuxième parti du pays. Peron tente le regroupement et parvient à mettre sur pied le Front justicialiste de libération (FREJULI), rassemblant autour du parti justicialiste une vingtaine de petits partis. Mais on est loin du large front politique civil que Peron avait envisagé de former. Quant à l'armée, elle est décidée, selon le président Lanusse, à employer « tous les moyens » pour faire obstacle à un « retour au passé ».

Le 14 décembre, Peron repart pour l'Espagne, via le Paraguay et le Pérou. Le bilan de son séjour paraît assez maigre : regroupement partiel des partis qui ne demandaient qu'à s'unir, conférence de presse sans grand éclat, désenchantement de son propre parti à l'annonce de son renoncement comme candidat à l'élection de mars. À sa place il fait désigner son délégué personnel, Hector Campora, mais cette candidature ne suscite guère l'enthousiasme.

Élections

À la fin de 1972, devant la violence qui se développe, certains chefs militaires font pression pour ajourner les élections fixées au 11 mars 1973. La junte des commandants en chef décide de maintenir l'état de siège en vigueur depuis juillet 1969, mais affirme sa « décision inébranlable » d'organiser des élections libres.

Outre le président, 14 millions des électeurs doivent élire non seulement le président, mais aussi plus de 22 000 gouverneurs, parlementaires, conseillers municipaux, etc. C'est un raz-de-marée péroniste sur toute la ligne. Hector Campora et Vincente Solano Lima, vice président, obtiennent 49,56 % des voix. Ricardo Balbin pour l'UCR n'atteint que 21,20 %, Francisco Manrique, ancien ministre de Lanusse, 14,70 %, Oscar Alende pour l'Alliance populaire révolutionnaire 7,12 %, le général Ezéquiel Martinez, candidat de la junte, et celui de la Nueva Fuerza (conservatrice) n'atteignent pas à eux deux 5 %. Craignant une victoire encore plus écrasante au second tour, le général Lanusse déclare Hector Campora « vainqueur virtuel », et affirme qu'il se retirera ainsi que les autres commandants en chef le 25 mai, date de la prestation de serment du nouveau président. La grande majorité des gouverneurs élus sont péronistes. Majorité absolue aussi à la Chambre des députés et au Sénat.