Mais il y a plus grave encore : à l'occasion des grandes campagnes où il est fait appel à la générosité publique, des agences privées détournent légalement une partie de l'argent collecté. Elles s'octroient un pourcentage déterminé par le montant total des fonds versés. Elles rémunèrent les collaborateurs de l'ORTF pour des travaux qui, normalement, doivent être exécutés à l'Office. Tout en prêtant bénévolement son concours, la télévision se trouve là à l'origine de scandales particulièrement odieux.

Copinage

Trois jours après la publication de ce rapport, un second pavé est jeté dans la mare avec tout autant de force : il est constitué par les 460 pages du rapport de la commission de contrôle de l'Assemblée nationale. Les députés dénoncent les mêmes affaires de piraterie publicitaire que les sénateurs. Ils ajoutent au dossier déjà volumineux une étude sur les sociétés satellites : ce sont des entreprises créées par des collaborateurs de l'Office à dessein de vendre à celui-ci des émissions ou tout au moins des éléments indispensables à certains programmes. L'une de ces sociétés satellites réussit même l'exploit de pratiquer l'autoprogrammation ! Cette mise en application du principe des vases communicants, extrêmement profitable pour quelques-uns des hommes les plus connus de la télévision, révèle un laisser-aller fâcheux au niveau de la gestion. Les députés s'étonnent du matraquage publicitaire effectué lors de la sortie de certains films et réprouvent les pratiques des cameramen qui, à l'occasion de matches, cadrent complaisamment les panneaux de réclame. S'ils restent prudents lorsqu'ils subodorent que des enveloppes ont pu être distribuées, les parlementaires n'hésitent pas à fustiger le copinage. Dans leur rapport, ils s'attachent à cerner les causes du mal : cela pourrait évidemment servir de point de départ à des réformes sérieuses et profondes. La direction générale quasi olympienne de l'Office méconnaît tous les problèmes de la presse et du show-business ; les directeurs de chaîne se veulent maîtres chez eux ; les réalisateurs sont constamment sollicités par les agences de relations publiques avec lesquelles ils entretiennent des rapports particulièrement étroits ; les directeurs de chaîne ou d'unité pratiquent l'autoprogrammation ; à l'intérieur de l'Office, des féodalités sont établies depuis longtemps, créant un régime de mandarins et de petits barons : tout cela contribue à transformer l'Office en « un grand corps malade ».

Ces deux rapports déchaînent dans la presse des prises de position passionnées. Accusée, la télévision ne trouve aucun défenseur tellement les faits rapportés sont condamnables, mais elle présente un front serein comme si tout cela, après tout, était très exagéré et sans grande importance. C'est d'abord le directeur général de l'Office, Jean-Jacques de Bresson, qui nage avec la plus parfaite aisance entre la publicité légale, la publicité compensée, la publicité inévitable et la publicité clandestine. C'est ensuite le conseil d'administration qui, au cours d'une conférence de presse, s'offre le luxe d'un plaidoyer pro-domo. Son président, Pierre de Leusse, affirme que « l'affaire du fichier de l'ORTF proposé à une société privée n'existe pas. Aucun fichier n'a disparu de l'ORTF, et cette affaire ne repose sur rien ». C'est enfin le Premier ministre qui, à la tribune de l'Assemblée nationale, estime que « la direction de l'Office n'a rien à se reprocher ».

Un problème politique

Cette fois, cependant, Jacques Chaban-Delmas ne réussit pas plus à convaincre sa majorité que l'opposition. Si beaucoup de parlementaires ruent dans les brancards, c'est parce qu'ils estiment, à juste titre, que le problème de la télévision est devenu politique. Il n'existe pas d'autre explication à l'effondrement du niveau culturel des émissions diffusées. Longtemps considérée comme l'une des premières télévisions du monde, comment a-t-elle pu descendre à son actuel niveau de médiocrité alors que des hommes de qualité, des professionnels de valeur existent toujours ?