Plusieurs d'entre eux s'étaient déjà éloignés, rompant avec l'UDR : Louis Vallon (octobre 1969), Gabriel Vancalster (décembre 1970), Jacques Vendroux, beau-frère du général de Gaulle, et Christian Fouchet (février 1971), Jean-Marcel Jeanneney (octobre), David Rousset (novembre). D'autres se taisaient obstinément, et notamment André Malraux, Maurice Couve de Murville. Certains se regroupaient tant bien que mal à la lisière de la majorité, particulièrement les gaullistes de gauche sollicités par deux rassemblements : l'un, affirmant avec vigueur son indépendance autour de Gilbert Grandval (Front du progrès, Front des jeunes progressistes, Union populaire progressiste et Union gaulliste populaire), tenait congrès en octobre 1971 à Toulon ; l'autre, fusionnant l'Union de la gauche Ve (Ph. Dechartre), Démocratie et travail (Léo Hamon) et le Front travailliste (Yvon Morandat), constituait le Mouvement pour le socialisme par la participation, qui se donnait en novembre, malgré l'opposition de plusieurs de ses leaders, un président d'honneur inattendu en la personne d'Edgar Faure, fidèle à l'orthodoxie mais soucieux d'un renouvellement des conceptions politiques et sociales.

Dans toute cette poussée de reclassement et de redistribution, le président Pompidou intervenait peu. Il se contentait de hâter la relève des anciens par les nouveaux, des champions de la fidélité par les partisans de l'ouverture et de la modernisation. Le choix de l'objet du référendum accélérait cette évolution ; le clivage s'accentuait entre les technocrates et les néo-gaullistes pompidoliens d'une part, les vieux cadres d'autre part. En évitant avec soin de dramatiser la bataille référendaire, de mettre en jeu son maintien à l'Élysée, de peindre aux couleurs du désordre et du chaos les conséquences d'un échec, le président de la République achevait de bien marquer que l'ère de l'inconditionnalité, de la personnalisation et de l'absolutisme gaullien était révolue, que la nouvelle étape inaugurée en droit en 1969, mais en fait au printemps de 1972 seulement, commençait.

Opposition : l'unité difficile

Si la majorité changeait ainsi peu à peu de registre et presque de nature, l'opposition n'était pas davantage à l'abri des bouleversements. À peine installé en juin 1971 à la tête du parti socialiste, François Mitterrand engageait dès le 1er juillet par une conférence de presse, le 7 par une rencontre avec les dirigeants du parti communiste, son offensive. Cette intervention publique du nouveau premier secrétaire et cette prise de contact devaient être suivies, avec des fortunes diverses, de beaucoup d'autres.

En fait, toute l'année, les phases de négociations et les entreprises ou actions communes des deux grandes formations de l'opposition devaient alterner avec les discordes, les divergences, les diatribes même. Il serait fastidieux de recenser, semaine après semaine, leurs allées et venues. Les pierres d'achoppement sont toujours les mêmes : d'abord, la volonté des socialistes de « se hâter lentement » vers l'union, l'unité, la recherche d'un programme commun et d'un accord de gouvernement, constamment réclamées par les communistes. Ensuite, les attitudes contrastées des deux partis à l'égard des événements de Tchécoslovaquie où le PC « déplore » parfois, mais très mollement, l'action de l'URSS tandis que le PS la condamne à maintes reprises avec virulence ; en fait, par-delà ce problème, c'est la question des garanties dans le domaine des libertés publiques et de l'indépendance vis-à-vis des thèses de Moscou qui est constamment posée. Enfin, et le référendum d'avril 1972 le montre avec éclat, les deux partis s'opposent franchement sur la construction européenne, au point que l'un vote « non à l'Europe autant qu'au régime », tandis que l'autre donne à l'abstention (qu'il recommande) le sens d'un « oui à l'Europe et non à Pompidou ».

Ces graves divergences s'expriment à travers un brouillamini de lettres et de propos acerbes, de rendez-vous inutiles ou manqués, d'accusations réciproques et de rivalités de toutes sortes. Parallèlement, chaque pas en arrière du PS dans la voie de l'entente avec le PC constitue un pas en direction du centrisme d'opposition — des radicaux en particulier — aussitôt suivi d'ailleurs du mouvement inverse. La valse hésitation devait cependant s'arrêter enfin au début de l'été 1972, l'éventualité d'élections anticipées à l'automne faisant en quelque sorte obligation aux deux principales formations de l'opposition de s'entendre contre l'adversaire commun. Comment concilier le programme du PCF, adopté dès octobre 1971 et largement diffusé dans le public en livre de poche, avec le programme socialiste approuvé le 11 mars suivant par la Convention nationale de Suresnes ? L'adoption d'un programme de gouvernement, valable pour cinq ans et comportant de nombreuses novations de part et d'autre, bouleversait fin juin le paysage politique et les conditions de la bataille électorale.

Oscillations des centrismes

L'accession et le dynamisme de François Mitterrand à la direction du parti socialiste, l'installation désormais acquise et admise de Georges Marchais à la tête du parti communiste, devaient être suivies d'autres changements dans les états-majors de la gauche. Si Michel Rocard se maintenait tant bien que mal au poste de secrétaire national d'un parti socialiste unifié divisé et affaibli, le vieux parti radical se donnait en la personne de Jean-Jacques Servan-Schreiber, au Congrès des 15-17 octobre 1971 à Suresnes, un président ardent, batailleur et controversé. Le nouveau leader valoisien multipliait aussitôt les initiatives et les déclarations, se heurtant au scepticisme, à la sourde répulsion ou à l'hostilité délibérée des uns et des autres, et ne faisait rien, il faut le reconnaître, pour rassurer et concilier. Faute d'une entente possible avec les communistes, tenu à l'écart par la méfiance des socialistes, il se tournait vers le centre, nouait des liens avec le Centre démocrate de Jean Lecanuet, et ils créaient ensemble, à Saint-Germain-en-Laye le 3 novembre 1971, le mouvement réformateur.