Que peut-on retirer de la représentation de ces drames vécus mais étrangers ? L'à-plat du tableau nous donne en réalité une dimension nouvelle et nous met en perspective. Comme nous nous entourons d'objets apportés par les vagues successives des époques et des civilisations, nous enrichissons notre sensibilité d'un peu toutes les émotions conservées dans les formes plastiques. « L'homme sans culture, disait Dürer, n'est qu'un miroir dépoli. » Curieux du passé ou inattentif à l'histoire, l'homme est d'abord un miroir, c'est-à-dire qu'il vit de reflets. N'en a-t-on pas la preuve dans cette boulimie de conservation qui, si elle tend à négliger les hautes époques, s'attache désormais au passé le plus récent, du style art déco au kitsch des années 40 ? « Les chaussures que l'on porte, écrit Thomas B. Hess, entreront au musée des Arts décoratifs avant d'être usées. » Et la passion du bilan va jusqu'à faire le compte de la génération qui s'est manifestée en France au cours de la dernière décade.

Douze ans d'art contemporain en France (17 mai-8 septembre 1972)

Née d'un souhait du président de la République, cette exposition, qui posa avec acuité, dès le début de son organisation, le problème des rapports de l'artiste et de l'État, s'efforce de disposer soixante-douze artistes, retenus pour leur action novatrice, sous les principales rubriques désignant les tendances actuelles : abstraction géométrique, art cinétique, nouveau réalisme, figuration narrative, art conceptuel, peinture politique, art technologique, etc. À côté d'individualités depuis longtemps reconnues comme Agam, Arman, Boltanski, César, Christo, Dewasne, Dubuffet, Hantaï, Y. Klein, Messagier, Niki de Saint-Phalle, Soto, Takis, Tinguely, des recherches comme celles de Courtin, Dado, Zeimert, Arroyo, Raynaud, Rouan, Requichot, Titus-Carmel, Sannejouand montrent que, dans un registre tout différent, l'école de Paris a désormais une héritière bien vivante.

Cependant l'exposition s'ouvre le mardi 16 mai dans la contestation. Inaugurée le matin dans le calme par J. Duhamel, le vernissage public ne peut avoir lieu dans l'après-midi ; de violents incidents opposent la police aux manifestants du FAP (Front des artistes plasticiens). Devant l'intervention des forces de l'ordre, plusieurs exposants décident d'enlever leurs toiles. Le lendemain, 31 d'entre eux signent un texte condamnant l'attitude des forces de police lors du vernissage. Quelques jours plus tard l'Exposition 72 est ouverte au public.

Le musée des Arts et traditions populaires

Le 1er février 1972, Jacques Duhamel, ministre des Affaires culturelles, a inauguré les galeries dites de recherche du nouveau musée des Arts et traditions populaires.

Ces galeries seront par la suite prolongées par une salle culturelle destinée au grand public. Riches de 800 000 pièces qui touchent à tous les aspects de la société pré-industrielle, les chercheurs responsables de l'ethnologie française ont composé au niveau de ce « musée-laboratoire » une structure à trois éléments : des vitrines qui présentent les objets et le déroulement de leurs fonctions ; de petites loges où, par le moyen de documents audio-visuels, sont recréés l'environnement de l'objet et le contexte de son emploi ; des catalogues de référence qui précisent les données chronologiques.

Le musée, qui initie aux méthodes d'investigation les plus modernes concernant l'archéologie et l'ethnologie, est un centre d'enseignement (il assure la préparation au doctorat de plus de 200 étudiants) et de recherche associé au CNRS. Il est en outre chargé du recyclage des conservateurs des musées de province et des rapports avec les centres spécialisés de l'étranger.

Rétrospectives

Aussi bien la faveur des grandes foules est-elle allée cette année encore aux rétrospectives.

Van Gogh

La fondation Van Gogh montrait pour la dernière fois hors de Hollande (Orangerie des Tuileries, décembre 1971-avril 1972) les peintures et les dessins qui prendront place dès cette année dans le nouveau musée d'Amsterdam élevé à la seule gloire du peintre. Des esquisses à la mine de plomb de Nuenen aux lavis de Saint-Rémy, des Mangeurs de pommes de terre au Champ de blé aux corbeaux, on est surpris de la rapidité d'une évolution et de la fidélité à ses thèmes (notamment végétaux), à travers les contraintes volontairement subies et toujours victorieusement rejetées (impressionnisme, japonaiseries, Pont-Aven). La houle des blés, les tourbillons des ciels, la série de soleils sur soleils en plein soleil qu'admirait Gauguin traduisent le drame intérieur de Van Gogh aussi directement que ces autoportraits-robots de l'artiste maudit dont se délecte un public plus curieux d'y lire le désordre mental du peintre que sensible à la vigueur avec laquelle il communique aux moindres objets son dynamisme intérieur. Revivant durant toute son existence sa première passion évangélique, il voulait montrer, dit le fils de Théo, combien ce monde « pourrait être habitable ».

Fernand Léger

Cette ambition fut aussi celle de Fernand Léger (Grand Palais, octobre 1971-janvier 1972), mais avec une sûreté tout architecturale. Un cycliste, un arbre, un passage à niveau, un transformateur électrique : le monde mécanique accepté, démonté, dominé est peuplé de femmes massives et de lutteurs placides. Mais si la nature ou le visage humain pointent dès ses premières compositions abstraites, ses Constructeurs des dernières années retrouvent l'impersonnalité de l'emblème. Entre cet univers pour colosses et la réalité du monde en train de se faire, il y a la distance qui sépare les utopies mécaniques du siècle dernier de nos gadgets sophistiqués.