Ce livre nous offre un passage naturel vers la poésie étrangère, et c'est encore une anthologie qu'il convient d'abord de remarquer : 37 poètes grecs de l'indépendance à nos jours, présentés et traduits avec passion par Dominique Grandmont, choix qui était une gageure dans une littérature aussi riche, et qui nous fait découvrir entre Ritsos et Séféris d'autres voix, souvent admirables, comme celle de Vrettakos. Complétant la traduction, parue en 1969, de La réalité et le désir, un essai de la collection Poètes d'aujourd'hui place enfin Luis Cernuda parmi ses pairs d'Amérique latine et d'Espagne : exilé depuis 1938, Cernuda était sans doute un des plus purs écrivains espagnols, au lyrisme aussi exigeant que solitaire. L'opposé, en quelque sorte, de Neruda, intarissable Aragon chilien dont Claude Couffon vient de traduire un long poème baroque et fabuleux, L'épée de flammes.

Étranges et essentielles

Dans le domaine allemand, il faut noter les Poèmes de Gottfried Benn et les Œuvres complètes de l'Autrichien Georg Trakl, deux œuvres étranges et essentielles dont l'importance ne cesse de croître. Enfin, un Choix de poèmes du Hongrois Milan Füst, écrivain de la première moitié du siècle, que présente Georges Mounin : « liturgique et quotidien, mais aussi fantasque, mais aussi bouffon. Toujours libre, totalement libre... ». Trois grands poètes, qu'il faut connaître, et qu'on ne cessera plus de relire.

Rien de fondamental en comparaison dans une poésie française abritant une discrète mélancolie derrière l'élégance du sourire de Louise de Vilmorin (Solitude ô mon éléphant), ou sa lucidité très détachée sous une gouaille amusante (Hervé Bazin : Jour, et À la poursuite d'Iris), une verve parente de Queneau ou du Boileau du Lutrin : Jean Effel, Ce crapaud de granit bavant du goémon. Il y a davantage de gravité dans L'envers du feu (et de couleurs, de profusion parfois bavarde mais toujours chaleureuse), que signe Robert Goffin, comme il y en a dans Loger la source, trois plaquettes réunies par Guy Lévis Mano et publiées cette fois chez Gallimard — un beau livre rare et sobre, d'une tension secrète. Jean Tortel reprend des textes anciens, rassemblant ainsi dans Les limites du regard une quête à mi-voix de la réalité sensible. Alain Bosquet publie Notes pour un amour, où se conjuguent la féerie surréalisante des formes et une secrète et juste tendresse ; Bosquet, cette fois, nous fait participer au tutoiement du monde et nous donne en partage son plus pur poème. C'est plus au charme des mirages que fait appel Robert Mallet (La rose en ses remous), renouant avec une tradition d'exotisme romantique.

Difficile équilibre

La jeune poésie poursuit une difficile recherche d'équilibre entre la volonté de dire et un refus de la communicabilité. Lorand Gaspar est un des seuls à concilier un verbe épuré et la peinture d'un monde solaire et mythique, arabe et biblique : Sol absolu ; ou encore Pierre Torreilles (Le désert croît), parce que la confiance a pris forme entre le langage et les choses : « Toute chose est en elle-même/Et je suis le silence en elle »... Si la recherche d'une originalité — dans la ligne de Denis Roche — pèse sur Lionel Ray (Les métamorphoses du biographe), une simplicité efficace donne du prix à Dédicace proverbes, de Henri Meschonnic. Mais c'est la joie du verbe, le goût de la vie, qui portent les poèmes de James Sacré (Cœur élégie rouge) et ceux de Guy Chambelland (poète-éditeur, comme Guy Lévis Mano), La mort la mer et Courtoisie de la fatigue, ou ces fables d'un ton, semble-t-il, nouveau chez Jean Orizet : Silencieuse entrave au temps. Andrée Chédid poursuit une œuvre silencieuse avec Visage premier, cherchant « ce qui est plus que le mot/mais que le mot délivre ».

Un recueil du poète québécois Jacques Brault, La poésie ce matin, et Mémoire d'autre, de Pierre Dalle Nogare, confirment deux écrivains en marge des modes, comme s'affirment, grâce à une commune publication de la revue Le pont de l'épée (no 48), un des meilleurs parmi les noms de la nouvelle poésie française, Christian Bachelin, et l'œuvre trop mal connue d'Alain Borne. Il convient de noter encore, de Denise Borias, dont L'amandier recélait de belles pages : Nature vive, et, parmi les promesses des premiers livres, celle de Marc Cholodenko (Parcs) et surtout de Gilles Durieux pour À la tour Montparnasse les bateaux sont morts ; enfin, de Claude Esteban, Croyant nommer, illustré par Jean Bazaine.