Les diverses consultations électorales partielles de ces douze mois ont montré néanmoins que ces dissensions n'affaiblissent pas sérieusement l'UDR. Le successeur de G. Pompidou comme député du Cantal en septembre et, le mois suivant, plusieurs anciens ministres du général de Gaulle qui avaient dû abandonner leur mandat pour entrer au gouvernement (Messmer, Faure, Dumas, Chamant, Le Theule) l'emportent haut la main ; de même sera conservé à l'UDR huit mois plus tard, en juin, par P. de Bénouville le siège de député du XIIe arrondissement de Paris, dont le titulaire est décédé. Deux défaites seulement, qui feront l'une et l'autre, la seconde surtout, un certain bruit : l'échec en octobre, dans les Yvelines, de M. Couve de Murville, pour lequel un député UDR, P. Clostermann, avait donné sa démission afin de lui laisser son siège, devant Michel Rocard, secrétaire national du PSU ; la conquête, en juin, à Nancy par Jean-Jacques Servan-Schreiber, secrétaire général du parti radical, du siège UDR de Roger Souchal, démissionnaire pour protester contre le sort fait à la Lorraine du Sud, dont les difficultés ont déjà provoqué une crise municipale qui a amené des centristes à la mairie de la métropole régionale jusque-là administrée par des giscardiens. Cette dernière consultation revêt, pour des raisons que l'on verra un peu plus loin, une allure de « test national ».

Quant aux élections cantonales des 8 et 15 mars, elles ne révélaient aucun bouleversement et, si les abstentions étaient particulièrement nombreuses, ainsi qu'il est de règle pour ce type de scrutin, elles témoignaient d'un certain progrès de la majorité et aussi des communistes, aux dépens d'une opposition de gauche décidément en perte de vitesse.

Cette opposition, pourtant, méditait depuis juin 1969 déjà sur les causes de son échec aux présidentielles et les raisons de son propre dépérissement. La dispersion de la Fédération de la gauche, qui avait rejeté au Parlement F. Mitterrand parmi les non-inscrits, voyait se nouer malaisément divers contacts entre des formations retournées chacune à ses particularismes et à ses querelles internes. Le parti socialiste, avec sa nouvelle direction animée par A. Savary, mène des conversations sans grand résultat avec le PSU, avec la Convention de F. Mitterrand — qui viendra néanmoins plaider en faveur de l'unité de la gauche à la tribune du Congrès socialiste de juin comme il le fait dans maintes réunions à travers le pays. En même temps, le dialogue entrecoupé de brouilles et de semi-réconciliations s'engage une fois de plus au niveau des directions entre socialistes et communistes. Mais les ferments centristes travaillent le socialisme, surtout au fur et à mesure que se développe la nouvelle attitude du parti radical, dont le président élu en octobre, Maurice Faure, a fait appel à Jean-Jacques Servan-Schreiber pour diriger le secrétariat général.

Le directeur de l'Express, qui quitte d'ailleurs ce poste pour se consacrer à sa tâche et à sa carrière politiques, élabore, publie en janvier et fait approuver par son parti en février, un manifeste intitulé Ciel et Terre, qui remue des idées assez neuves, notamment sur la suppression de l'héritage des moyens de production, la réforme des grandes écoles, etc. Mettant son dynamisme et son ambition au service de l'un des plus vieux partis traditionnels, n'hésitant pas à utiliser les méthodes les plus bruyantes de propagande et de persuasion, allant, par exemple, négocier avec les colonels grecs la libération du musicien communiste Theodorakis, qu'il ramène triomphalement à Paris, J.-J. S.-S., comme il aime à être appelé, bouscule quelque peu le Landerneau politique, sème des idées, provoque des controverses et réussit à faire de son élection à Nancy une sorte de bataille symbolique des réformateurs contre les conservateurs, de l'esprit moderne, réaliste et technocratique du défi américain contre la tradition, l'immobilisme et le passé. Chacun sent bien qu'à travers l'affrontement, c'est le transfert éventuel de l'héritage gaulliste à une force réformiste de centre gauche à la fois socialisante dans l'expression et néo-capitaliste dans le fond qui est en jeu, et chacun soupçonne bien qu'il y a là un problème qui engage l'avenir. D'où l'hostilité non déguisée de certains radicaux, comme Félix Gaillard. D'où aussi les soupçons que nourrissent les formations de gauche, parti communiste, parti socialiste et PSU, à l'encontre de J.-J. S.-S., dont l'entreprise rejoint, en la gênant, celle du Centre démocrate de Jean Lecanuet, tandis qu'elle favorise ceux qui, chez les socialistes, refusent le dialogue avec le PC : Muller, maire de Mulhouse et fondateur d'un parti démocrate socialiste, et Chandernagor, député, chef de file au sein du parti de la tendance centriste.