La révolte des petits commerçants avait rejoint un moment, à l'automne, une certaine agitation paysanne qui s'était fait jour, surtout en Bretagne, puis, au printemps, l'action des groupes gauchistes partisans de la violence. Cette conjonction des agitations, quelques grèves, du zèle ou tournantes, des services publics, des démonstrations inattendues et inhabituelles, comme celles des routiers et diverses manifestations étudiantes, donnaient par moment le sentiment d'une sorte d'anarchie molle, de début de décomposition du corps social, qui contrastait évidemment avec les promesses réitérées faites au nom de la « nouvelle société ».

L'agitation et l'ordre

Dans l'Université, en effet, l'année 1969-70 laissera sans doute une double image, celle d'un certain retour vers les habitudes et les règles antérieures à mai 1968 et celle d'une contestation moins étendue, mais plus acharnée. Dès l'été 1969, un conflit s'élève entre le secrétaire d'État à la Jeunesse, Joseph Comiti, et les maisons de jeunes, tandis que la querelle des maisons de la culture continue d'opposer à certains des dirigeants de ces organismes le ministre d'État chargé des Affaires culturelles, Edmond Michelet. La rentrée scolaire de septembre, la rentrée universitaire de novembre se font néanmoins sans trop d'incidents et ce n'est guère qu'au printemps 1970, à l'occasion des élections dans les nouvelles unités d'enseignement et à l'approche des examens, que l'effervescence reparaît.

Elle se manifeste plus d'ailleurs, au début, hors des campus qu'à Vincennes, Nanterre, Assas et Censier, les quatre universités parisiennes qui seront constamment, avec quelques lycées de la capitale, le foyer ou la base de départ d'une agitation bientôt endémique. Raids de commandos des gauchistes au siège du patronat français (CNPF), en janvier, dans les bureaux des services d'assistance aux travailleurs étrangers en février, alternent avec des bagarres au centre Assas (droit) entre extrémistes de gauche et de droite, à la faculté des lettres de Nanterre, où la police intervient sur le campus, le 27 février, à la demande du doyen Ricœur, qui donne bientôt sa démission, à la faculté des sciences de Paris (Halle aux vins), où les locaux sont mis à sac le 5 mars, à Vincennes, occupé par les gauchistes et qui est évacué par la force le 22 avril... Chaque fois, les facultés en cause sont fermées pour quelques jours, les autorités universitaires s'effacent devant la police ou même l'appellent, la répression est brutale, les incidents rebondissent et s'étendent, l'opinion s'émeut, se demande si mai 68 ne va pas recommencer, s'indigne de tout ce gâchis.

Sous la pression de cette opinion qui, dans sa masse, est très sévère à l'égard des contestataires et aussi pour donner des gages de sa fermeté à la magistrature et à la police, le gouvernement met en chantier en avril une loi « réprimant certaines formes nouvelles de délinquance » que le public nomme aussitôt « loi anti-casseurs ». Le Premier ministre n'a-t-il pas, dans une allocution radiotélévisée, annoncé que désormais et contrairement au vieux proverbe « les casseurs seront les payeurs » ?

Cette loi, dont le vote par l'Assemblée en première lecture n'est acquis (le 30 avril, par 368 voix contre 94) qu'au prix de nombreux amendements et qui sera d'abord rejetée par le Sénat, suscite de vives protestations non seulement des gauchistes, mais de l'opposition de gauche, qui redoute de voir un jour mettre en œuvre contre les libertés d'expression et de réunion les dispositions restrictives ainsi retenues. Sa discussion s'accompagne d'un regain d'agitation dans les universités, dans le gauchisme, dont le mouvement le plus en flèche, la Gauche prolétarienne, maoïste, est interdit et l'un des organes les plus virulents, la Cause du peuple, saisi, ses directeurs successifs emprisonnés et bientôt condamnés à des peines de prison fermes. Jean-Paul Sartre prend symboliquement leur place comme responsable de la publication et, le soir du 28 mai, des bagarres éclatent au Quartier latin, rappelant par leur violence, sinon par leur ampleur, les journées de mai 1968. Bagarres aussi en province, à Grenoble en particulier, où les explosions se succèdent sans qu'on sache si elles doivent être attribuées aux commerçants contestataires ou aux gauchistes. Attentats contre des installations universitaires, des journaux, des centres administratifs, une banque, échauffourées et sabotages, raids de commandos — notamment contre une épicerie de luxe du quartier de la Madeleine, Fauchon, dont quelques marchandises seront distribuées par les assaillants aux habitants de bidonvilles de banlieue, tandis qu'une étudiante arrêtée sera frappée de treize mois de prison fermes, sentence révisée au bout de quelques semaines en appel, où elle obtient le sursis.