Les dossiers des affaires publiques, pourtant, pendant la préparation et la campagne référendaire d'abord, l'intérim et la bataille présidentielle ensuite, s'étaient singulièrement alourdis et les données de la situation française notablement aggravées dans divers domaines. Un souci, obsédant, l'emporte, à l'aube du septennat, sur toute autre préoccupation : le franc. La crise monétaire internationale de novembre 1969 a entraîné une amputation de fait de la devise française. Convient-il de persister dans l'attitude adoptée par de Gaulle et de refuser d'en tenir compte ? Faut-il trancher dans le vif et reconnaître en droit la détérioration intervenue, c'est-à-dire pratiquer la dévaluation ? Pour leur part, G. Pompidou, J. Chaban-Delmas et V. Giscard d'Estaing sont résolus à emprunter la seconde voie. Mais, pour la dévaluation comme à la guerre, le choix du moment est stratégiquement essentiel.

À partir de la mi-juillet, tandis que V. Giscard d'Estaing laisse entendre, le 16 encore, que le franc ne sera pas dévalué, les experts travaillent dans le secret. La décision, annoncée soudain le 8 août dans l'euphorie des vacances, éclate comme un coup de tonnerre. La surprise est complète et, sur le plan psychologique au moins, l'opération a été fort bien menée.

Il faut, bien entendu, encadrer la dévaluation d'un ensemble de dispositions qui assure son succès. Le Conseil des ministres en délibère le 28 août, puis le 3 septembre, adoptant, un peu lentement peut-être, un plan de redressement prudent, dont la modestie relative ou supposée provoque d'abord deux critiques contradictoires : dans l'opposition, mais aussi au sein de la majorité, les uns jugent le taux choisi (12,5 %) trop élevé, les mesures d'accompagnement trop sévères, tandis que les autres s'en prennent à un taux à leur avis insuffisant, à des mesures trop timides. Cependant, le resserrement du crédit et le contrôle des changes pratiqués à cette occasion vont peser jusqu'à l'été 1970 sur l'économie, tandis que les hausses de prix, contrairement à certaines alarmes, demeureront à peu près conformes aux prévisions, que le commerce extérieur retrouvera un niveau satisfaisant, que les réserves en devises se reconstitueront.

Continuité ou changement

La dévaluation, c'est aussi une première réponse à la question que chacun se pose devant la nouvelle équipe au pouvoir, une question qui a été l'un des leitmotive de la compétition présidentielle : continuité ou changement ?

Dès la mise en place du gouvernement, au début de juillet, chacun tire les leçons du scrutin qui vient d'intervenir. Avec les républicains indépendants de V. Giscard d'Estaing, les centristes ont rejoint la majorité. Leur leader, Jacques Duhamel, crée donc une formation qui accueillera ses partisans, le Centre démocratie et progrès (CDP). De leur côté, les gaullistes les plus orthodoxes se rassemblent, soupçonneux et vigilants, dans une amicale parlementaire Présence et action du gaullisme, qui compte pour commencer 25 députés et sénateurs et dont les effectifs doubleront dans les mois suivants. Le challenger A. Poher souhaite la naissance « d'une force résolument réformatrice » et ses partisans lancent à Lyon un Comité national de liaison démocratique et social. Enfin, l'opposition de gauche non communiste, défaite et démoralisée, cherche à se reprendre ; le premier congrès national du nouveau parti socialiste, réuni à Issy-les-Moulineaux, renouvelle largement le Comité directeur, qui porte quelques jours plus tard Alain Savary à la tête du parti, avec le titre de premier secrétaire. Ici et là, les bases du changement sont jetées.

Le nouveau président de la République s'efforce, pour sa part, d'innover avec prudence et en évitant soigneusement de heurter. Georges Pompidou tient avant les vacances, le 10 juillet, une première conférence de presse et une seconde à la rentrée, le 22 septembre, devant un nombre restreint de journalistes — une centaine, au lieu de cinq à six fois plus — et il répond vraiment à de vraies questions.