D'autres condamnations et la brutalité aveugle de certaines interventions des forces de l'ordre contribuent à élargir un peu un mouvement dont l'un des principaux animateurs, Alain Geismar, est arrêté le 25 juin. « Ne croyons pas que la révolution soit à nos portes », dit Georges Pompidou le 17 mai, au cours d'une brève visite dans le Cantal. En toutes occasions, le président de la République, le Premier ministre, mais davantage le ministre de l'Éducation nationale, Olivier Guichard, qui dénonce dès février « des bandes d'anarchistes itinérants », et surtout le ministre de l'Intérieur, Raymond Marcellin, qui parle lui d'un « complot international », promettent d'être fermes, de maintenir l'ordre, de ne pas se laisser déborder par le gauchisme. On peut toutefois se demander, au début de l'été, s'il ne s'agit que d'une nouvelle poussée de fièvre obsidionale comme tant d'autres pays en connaissent ou si le mal de la jeunesse n'est pas plus profond et plus préoccupant et ne relève pas d'une autre thérapeutique que la répression.

La diplomatie de la fidélité

Hantise, mais progressivement dissipée, de l'intervention du général de Gaulle ; prudence d'un régime élargi et confirmé, mais déchiré entre la continuité et le changement ; priorité donnée non sans succès au redressement à partir du choix capital de la dévaluation ; renonciation aux grandes réformes, mais non sans efforts d'amélioration dans le domaine social ; volonté d'ordre qui ne va pas sans quelque excès de fermeté ni sans quelques sérieuses bavures : telles sont les couleurs de la toile de fond sur laquelle se déroule pendant ces douze mois la vie politique française et d'abord la politique étrangère.

C'est dans la diplomatie plus qu'ailleurs, que la frontière du changement et de la continuité apparaît ténue, difficile à tracer. On s'attendait que l'entrée ou la rentrée des Européens dans la majorité donne le signal d'une révision des positions gaullistes en la matière. G. Pompidou n'avait-il pas promis avant son élection de tenir une conférence « au sommet » des Six, puis précisé par la suite que trois problèmes demeuraient en suspens pour le Marché commun : l'achèvement, c'est-à-dire l'adoption du règlement financier définitif (agricole) et le passage à la dernière étape ; l'approfondissement ou le développement, qui recouvre les perspectives d'évolution de la Communauté ; l'élargissement enfin, concrétisé par les demandes d'adhésion de la Grande-Bretagne et, avec elle, de plusieurs pays nordiques ?

La conférence de La Haye des 1er et 2 décembre 1969, après une première journée décevante, permet d'enregistrer sur ces trois points un assez large accord. En théorie, rien ne s'oppose plus à l'ouverture de la négociation avec la Grande-Bretagne dans le délai fixé et cette négociation devait, en effet, s'engager peu après la victoire inattendue des conservateurs aux élections anglaises fin juin. Cependant, en dépit des compromis intervenus et de cette victoire électorale, on sent bien que la discussion sera très serrée, très longue, très complexe et son issue longtemps encore incertaine. Si les Européens du gouvernement se réjouissent de voir enfin s'ouvrir la porte, sinon du Marché commun, du moins de la conférence avec l'Angleterre, les gaullistes de l'Europe des pairies ne s'y opposent pas dans la mesure où l'interlocuteur des six leur paraît fermé à toute forme de supranationalité. Au moment où, au début de juillet 1970, allaient se réunir, pour la seconde fois depuis l'arrivée au pouvoir de G. Pompidou et W. Brandt, les ministres français et allemands, la politique européenne du régime, malgré la levée du veto gaulliste contre la négociation anglaise, reflète encore davantage la continuité que le changement.

Il en va à peu près de même dans tous les autres secteurs de la diplomatie. À la fin de 1969 surgit un incident spectaculaire qui remue l'opinion : cinq vedettes commandées par Israël et immobilisées dans le port de Cherbourg par l'embargo décrété par la France sur toutes les armes à destination des belligérants du Proche-Orient, prennent la mer et gagnent un port israélien. Un marché fictif a fait croire à leur vente à une société norvégienne. Des sanctions sont prises contre deux hauts fonctionnaires militaires déclarés responsables de l'incident, un diplomate israélien est expulsé. Quelques jours plus tard, la promesse de vente de 100 avions Mirage à la Libye déchaîne les partisans d'Israël, comme l'incident des vedettes avait auparavant suscité les protestations des tenants de la politique arabe du gaullisme.