C'est un coup de tonnerre dans le ciel des vacances. Cette décision crée une situation tout à fait nouvelle dans le secteur agricole, où les prix, dans l'ensemble de la Communauté économique européenne, sont fixés à un même niveau, exprimé par rapport au dollar. La dévaluation de 12,5 % du franc entraîne un décrochage d'un montant équivalent des prix agricoles français par rapport aux prix communs. L'Europe verte, en avance sur l'Europe monétaire, doit provisoirement être mise entre parenthèses.

Un conseil ministériel européen extraordinaire, réuni à Bruxelles le 12 août, décide que les prix agricoles français devront graduellement (en principe d'ici 1971) retrouver le niveau européen et qu'en attendant, la France octroiera des subventions à l'importation et taxera les exportations des produits agricoles, afin d'éviter des perturbations dans les échanges.

Cet ébranlement dans l'édifice de l'Europe verte soulève nombre de difficultés pratiques et inquiète la paysannerie ; la possibilité d'une réorientation des prix plus conforme aux besoins s'ouvre en même temps : priorité sera donnée au rattrapage des prix des productions animales, qui sont déficitaires et qu'il convient d'encourager.

Mais le gouvernement, qui doit sévèrement contrôler le mouvement des prix pour assurer la réussite de la dévaluation, ne procède que par étapes mesurées ; la première est franchie le 11 août, avec un relèvement de 4,25 % du prix du bœuf et de 2 % du prix du lait. La FNSEA accepte par civisme un étalement de la hausse sur deux ans, ce qui ne manquera pas de lui être reproché ultérieurement. Car l'agriculture doit, par ailleurs, payer son tribut à la réussite du plan de redressement.

Si les coupes sévères dans les crédits budgétaires (notamment dans les crédits de l'enseignement agricole, soulèvent des protestations et provoquent des grèves, ce sont les mesures de restrictions de crédits qui soulèvent l'émoi de tous les milieux agricoles.

La face agricole de la nouvelle société présentée par J. Chaban-Delmas le 16 septembre, devant l'Assemblée, n'est pas mal accueillie par les intéressés. Le Premier ministre souhaite, en effet, « faciliter, notamment par le développement de la coopération et des groupements d'intérêt économique et sans formalisme juridique, le passage du maximum d'exploitations vers l'agriculture compétitive par la mise en commun des efforts et la transformation des produits. »

La publication des conclusions du rapport Vedel, à la demande de Jacques Duhamel, qui souhaite « dire la vérité » aux agriculteurs, va traumatiser les campagnes. Pour permettre aux agriculteurs de disposer d'un revenu comparable à celui des autres catégories sociales, il conviendrait d'ici à 1985 de retirer de la culture 12 millions d'hectares et de laisser disparaître 1 250 000 exploitations, pour en maintenir 250 000 convenablement restructurées. Le rapport Vedel est mon « livre de chevet », déclare imprudemment J. Duhamel, qui devra bien vite prendre ses distances vis-à-vis de ce document.

Ni la conférence de presse de G. Pompidou, qui rappelle, le 12 septembre, que la productivité de l'agriculteur actif a augmenté de 8 % par an de 1958 à 1968, alors que durant le même temps le nombre de paysans a diminué de 30 %, ni les décisions du ministre de l'Agriculture accordant une prime d'abattage des vaches et des primes de reconversion du lait vers la viande ne suffisent à rassurer les syndicalistes. D'autant que la décision allemande de laisser flotter le mark vient ajouter une nouvelle cause d'inquiétude sur l'avenir de la politique agricole européenne.

Devant la gravité de la situation, le conseil national de la FNSEA décide, le 1er octobre, de demander audience au président de la République et d'organiser le 17 octobre une journée nationale d'action syndicale. Celle-ci se déroule dans le calme et entraîne le rassemblement de plusieurs dizaines de milliers de cadres syndicaux, tandis que les mouvements de gauche, MODEF (Mouvement de défense des exploitations familiales), d'obédience communiste, et le Comité de Guéret annoncent qu'ils organiseront, eux aussi, des manifestations le 29 octobre, ce qu'ils feront.

L'encadrement du crédit

L'élévation du taux d'intérêt des prêts du Crédit agricole, la limitation du volume de ces prêts constituent le sujet explosif du mécontentement paysan. Les jeunes agriculteurs y sont particulièrement sensibles. À l'issue de leur congrès national des 22 et 23 octobre, à Paris, au cours duquel ils boycottent le discours du ministre, ils somment le gouvernement de lever les mesures d'encadrement du crédit après un sévère réquisitoire des deux patrons du CNJA, Raoul Serieys et Michel Simon, respectivement secrétaire général et président du mouvement.