Comment s'explique cette hémorragie qui, assure-t-on dans les milieux catholiques, pourrait être mortelle à assez brève échéance ? Pour répondre à cette question, il faut remonter à une loi de 1880... Toujours en vigueur, celle-ci prévoit que seuls les professeurs des facultés d'État peuvent délivrer les diplômes nationaux (baccalauréat, licence et doctorat). Pour concilier ce texte qui codifie le monopole de la collation des grades avec ceux qui prévoient la possibilité de faire fonctionner en France des facultés privées, une formule assez efficace, et guère contestée, avait été mise en place : des jurys, composés uniquement de professeurs des facultés d'État, examinaient chaque année les copies des étudiants des facultés privées, qui, au cours de leur scolarité, étaient soumis aux mêmes programmes que leurs camarades des facultés publiques.

La loi d'orientation de l'enseignement supérieur, votée en novembre 1968 par le Parlement, a rendu difficile, voire impossible, l'application de ce système.

En mettant l'accent sur l'autonomie, notamment pédagogique, des établissements d'enseignement supérieur, elle autorisait les facultés catholiques à exiger un semblable régime. D'outre part, la mise en place d'un système révolutionnaire de contrôle continu des connaissances, qui tend à remplacer l'examen ponctuel de type traditionnel, ne rendait guère possible le maintien de cet examen final pour les seuls étudiants des facultés privées.

Querelle des équivalences

Edgar Faure, alors ministre de l'Éducation nationale, avait décidé, par arrêté, d'autoriser les enseignants des facultés privées à délivrer à leurs étudiants des certificats d'équivalence qui leur permettraient sans autre contrôle de s'inscrire en deuxième cycle des facultés d'État dans les matières littéraires, juridiques et scientifiques. C'était compter sans la réaction des universitaires de l'État. Estimant qu'une atteinte grave était portée au principe du monopole de la collation des grades, ils obtinrent du Conseil d'État, au cours de l'été 1969, l'annulation des arrêtés Edgar Faure. Les étudiants des facultés libres durent repasser, a l'automne, mais cette fois devant des jurys de professeurs de l'État, les examens qu'ils avaient déjà présentés en mai 1969.

L'incertitude qui a plané sur le sort de ces étudiants pendant de longs mois, la nécessité pour les enseignants des facultés catholiques de se conformer strictement aux programmes des facultés d'État semblent en avoir détourné de nombreux étudiants, avant tout désireux d'obtenir un parchemin dont la valeur soit incontestée.

La formation médicale et l'arrêté Guichard-Boulin

Contre toute attente, le plus grave des multiples malentendus qui agitèrent l'année scolaire 1969-70 s'est produit dans les facultés de médecine, pourtant réputées pour leur tranquillité.

Le mouvement de revendication se déclenche peu de jours après la rentrée universitaire, à la fin d'octobre. Il surprend d'abord par son calme, son sérieux, puis par sa durée et sa relative unanimité. L'opinion publique, lassée des grèves d'étudiants en lettres ou en droit, dont elle ne comprend pas toujours les problèmes, a rapidement montré un intérêt pour cette grève inhabituelle, qui a duré près d'un mois et demi et n'a été marquée par aucun désordre sérieux. Elle s'est sentie directement concernée par les problèmes de formation des médecins.

La colère des étudiants en médecine est déclenchée par un arrêté pris en commun par le ministre de l'Éducation nationale et celui de la Santé publique et de la Population. L'arrêté Guichard-Boulin, du nom de ses auteurs, donne lieu dès sa publication, le 26 septembre 1969, à une polémique qui oppose pendant plusieurs semaines non seulement les étudiants, mais aussi les médecins, les hommes de science, les hommes politiques.

À première vue, cet arrêté contesté est purement technique, puisqu'il se borne à préciser comment seraient organisés à titre transitoire les examens de la fin de la première année d'études médicales (c'est-à-dire la première année du CPEM, premier cycle des études médicales). Ce texte extrêmement compliqué renforce la sévérité du contrôle des connaissances pour le passage en deuxième année : notes éliminatoires et deuxième session d'examens réservée à ceux qui, dès la première, auraient obtenu des notes supérieures à 10 sur 20 dans la majorité des matières.

Un arrêté contesté

Dès que le contenu de ce texte est rendu public, une polémique s'engage entre défenseurs de la sévérité et adversaires de la sélection. Les premiers, se fondant sur diverses études statistiques, appuyés par le tout-puissant syndicat autonome des enseignants des facultés de médecine, affirment que le texte est rendu nécessaire par l'afflux considérable d'étudiants vers les facultés de médecine au sortir du baccalauréat et le devoir de maintenir la qualité de l'enseignement médical. Selon eux, la France ne peut se payer le luxe d'offrir des études longues à des milliers d'étudiants qui, un jour ou l'autre, devront être éliminés si l'on ne veut pas risquer la pléthore de médecins. Le nombre de nouveaux médecins dont la France a besoin chaque année est d'environ 6 000. Or, à la rentrée 1969-1970, 25 000 à 26 000 étudiants sont inscrits en première année. Il fallait donc, estimaient les partisans de l'arrêté Guichard-Boulin, en éliminer, au plus tôt et dans leur intérêt, la plus grande partie. Si la sélection n'intervenait pas dès la première année, expliquait-on, plus elle se ferait tard, plus les étudiants éliminés, du fait de leur âge, éprouveraient des difficultés à changer d'orientation.