Avant 1968, le fonctionnement de l'enseignement supérieur en France reposait sur le schéma classique de la séparation des diverses sciences qui composent le savoir humain : lettres, médecine, sciences pures et sciences juridiques. Le développement de nouvelles sciences à cheval sur plusieurs domaines (comme la linguistique, à la fois littéraire et mathématique, ou les sciences sociales, qui ont besoin de l'apport de la géographie, du droit ou de la philosophie) a rendu nécessaire la définition d'un nouveau principe : la pluridisciplinarité. Il s'est donc agi d'abord de faire sauter les cloisonnements rigides qui séparent les spécialistes des diverses disciplines entre elles et les établissements qui les abritent.

Tout le monde est intellectuellement d'accord pour condamner les cadres anciens. Mais la mise en place des nouvelles universités, application à la réalité de l'acte de foi pluridisciplinaire, s'est heurtée à des résistances farouches. On a pu se demander vraiment si les anciennes facultés allaient disparaître définitivement ou bien plutôt renaître de leurs cendres.

Pour procéder au nouveau découpage, on a divisé les anciennes facultés (il fallait bien partir de la réalité puisqu'on ne partait pas de zéro) en plus de 600 UER (unités d'enseignement et de recherche), le plus souvent monodisciplinaires et correspondant aux anciens départements des facultés. Cette opération, achevée alors qu'Edgar Faure était encore ministre de l'Éducation nationale, a été relativement aisée.

Mariages difficiles

Plus difficile fut ensuite de regrouper ces UER sans retomber dans les erreurs d'antan. On n'a malheureusement pas toujours évité cet écueil. De nombreuses universités pluridisciplinaires ne sont, en fait, qu'une reconduction pure et simple des anciennes structures.

La procédure choisie explique en partie le résultat. Comme on ne pouvait décider autoritairement des mariages, il a fallu consulter les principaux intéressés : universitaires, étudiants et enseignants élus dans les conseils de gestion des facultés et des UER. Ces consultations ont parfois montré le souci de certains universitaires de ne pas se limiter aux schémas traditionnels et de faire passer au second plan le maintien de privilèges liés à l'enseignement mono-disciplinaire. Mais cet état d'esprit fut loin d'être la règle.

Les négociations les plus difficiles ont eu lieu à Paris, où l'enjeu était de taille. Comment, en effet, allait-on découper la gigantesque Sorbonne, l'immense faculté des sciences de la Halle aux vins ? Ce sont bien souvent les solutions les plus conservatrices qui ont été choisies et une bonne partie des nouvelles universités parisiennes n'ont guère de pluridisciplinaires que le nom. Ce n'est qu'en mars 1970, après d'interminables tractations et marchandages, que la liste des nouvelles universités est publiée*. Restait encore à créer les assemblées constituantes de ces nouvelles entités universitaires. Composées de délégués de chacune des UER, celles-ci sont chargées de définir les statuts des universités définitives. Les premiers statuts, ceux de Saint-Étienne et de Grenoble 2, sont approuvés par le ministre le 25 avril 1970, après vérification de leur conformité à la loi d'orientation. Les autres universités ont poursuivi l'élaboration de leurs statuts durant tout le printemps. Les conseils transitoires de gestion ont vu leurs pouvoirs prorogés en raison de la lenteur avec laquelle les nouvelles institutions se mettaient en place.

* Dans les villes où l'enseignement universitaire ne comporte qu'un premier cycle, les facultés sont regroupées en centres universitaires autonomes, appelés à prendre le statut d'université à mesure de leur croissance. C'est le cas de Mulhouse, qui figure sur la carte sous la rubrique « université ».

Les unités de valeur

Majeures ou mineures, semestrielles ou annuelles, les UV ont fait leur apparition dans l'université française. Décodé, ce sigle signifie unité de valeur.

Traditionnellement, les études en faculté des lettres et des sciences étaient sanctionnées par la délivrance d'un certain nombre de certificats d'études supérieures, qui s'ajoutaient pour constituer le diplôme final. Pour obtenir une licence de lettres, il fallait posséder quatre certificats correspondant d'une manière précise au type de licence préparée. La part laissée au libre choix de chaque étudiant était restreinte. En licence de lettres, par exemple, les trois quarts des CES étaient imposés.

Une palette plus large

Compte tenu de la nécessité, que plus personne aujourd'hui ne met en doute, de donner plus de souplesse au cursus universitaire, beaucoup de facultés françaises (surtout en lettres) ont mis a profit l'autonomie pédagogique dont elles disposent désormais pour offrir aux étudiants une palette de matières optionnelles plus large. Les anciens CES ont donc été remplacés par des unités de valeur, plus nombreuses. Ces UV correspondent chacune à un nombre de cours et de travaux dirigés bien précis, mais portent sur des parties plus limitées de la science étudiée. Par un jeu d'UV assez complexe (aucune faculté n'a adopté un système identique à celui de ses voisines), les étudiants peuvent donc, en théorie, se composer à leur guise un menu qui leur offre un champ d'études plus vaste et moins spécialisé que par le passé. Le système mis en place n'en est qu'à ses premiers balbutiements.

Trois niveaux

Un arrêté du 10 mai 1970 apporte quelques restrictions à la liberté d'agencement dont bénéficiaient jusque-là les UV. Celles-ci doivent être organisées en trois niveaux différents : premier cycle, licence et maîtrise. D'autre part, pour la première fois, une durée minimale est fixée pour obtenir un diplôme : deux ans pour le premier cycle, trois ans pour la licence et quatre ans pour la maîtrise. Ces dispositions ont pour but d'éviter que les étudiants ne choisissent systématiquement les UV les plus faciles et n'en collectent un trop grand nombre en une seule année. Les facultés de droit ont maintenu le système des années rigides.

Le déclin des facultés libres

Les facultés libres sont-elles condamnées à disparaître ? La question s'est posée lorsque ont été publiées les statistiques d'inscription des facultés catholiques pour l'année scolaire 1969-70. En une année seulement, alors que certaines existent depuis plus de quatre-vingts ans —, elles ont perdu près de 30 % de leurs étudiants et plusieurs ont dû renoncer à certains enseignements : l'Institut catholique de Lyon n'assure plus les programmes de droit et de sciences économiques préparant aux diplômes nationaux. Les facultés des lettres et des sciences de l'Université catholique d'Angers seront fermées à la rentrée de 1970 ; elles comptaient 900 étudiants en 1969, contre 1 700 en 1967.