Témoins de l'épreuve de force, les dirigeants communistes occidentaux voient venir le drame ; ils sont inquiets et proposent leurs bons offices. Luigi Longo, secrétaire général du PC italien, gagne Moscou le 16 juillet ; Waldeck Rochet se rend à Prague trois jours plus tard.

Le difficile accord de Cierna

Après de difficiles négociations, entre Moscou et Prague, les dirigeants du Kremlin se déclarent prêts à une rencontre bilatérale. Les Tchécoslovaques obtiennent que cette rencontre ait lieu chez eux. Avant la venue des dirigeants de Moscou, ils donnent une preuve de bonne volonté : le général Prchlik est démis de ses fonctions.

Si les Soviétiques pouvaient encore se méprendre sur le soutien dont bénéficie l'équipe des dirigeants tchécoslovaques, le mouvement de signatures en faveur de la politique de Dubcek, lancé par l'hebdomadaire Literarny Listy, le 26 juillet (on signe partout, dans les rues, dans les cafés, dans les gares), leur démontre qu'à Cierna nad Tisou, petite ville frontière, Ils auront indiscutablement en face d'eux les représentants authentiques de la Tchécoslovaquie.

Fait sans précédent, les membres titulaires du bureau politique du PC soviétique viennent à Cierna pratiquement au complet. Seuls Dmitri Polyanski et Andreï Kirilenko sont restés à Moscou. Ils seront informés sans difficulté de l'évolution des discussions ; leurs collègues, venus dans un train spécial, regagnent régulièrement chaque soir le territoire soviétique.

Piotr Chelest, le chef du parti en Ukraine — le voisin immédiat de Dubcek —, qui fait partie de la délégation, est particulièrement désireux d'enrayer la contagion de la libéralisation tchécoslovaque. Il semble ulcéré de devoir s'asseoir à la même table que Frantisek Kriegel, qu'il traite, apprendra-t-on plus tard, de « sioniste ».

Les conversations se poursuivent du 29 au 31 juillet. Après trois journées de dures discussions, Dubcek et ses amis signent un communiqué où ils affirment leur volonté de renforcer le socialisme. Mais les dirigeants tchécoslovaques avaient-ils jamais dit autre chose ?

La déclaration de Bratislava

La population tchécoslovaque soupçonne ses dirigeants d'avoir donné des gages ou fait des promesses incompatibles avec la ligne suivie depuis janvier. Elle redoute que l'accord péniblement réalisé ne comporte des clauses secrètes. On manifeste dans les rues de Prague. « Nous voulons savoir la vérité », scandent les manifestants. Des sifflets s'élèvent de la foule quand le populaire Smrkovsky, président de l'Assemblée, rend compte de la conduite de la délégation tchécoslovaque.

Consécration solennelle de l'apparente réconciliation, le 3 août, à Bratislava, où se réunissent les chefs des cinq partis, accompagnés des présidents du Conseil. Dubcek signe avec eux une nouvelle « Déclaration » qui souligne « les succès particulièrement importants obtenus par l'Union soviétique dans la construction du socialisme et du communisme », et la nécessité d'une grande « vigilance contre toutes les entreprises de l'impérialisme ». La rencontre se termine par une cérémonie au mont Slavin, où l'on dépose une gerbe au monument dédié à la mémoire des soldats soviétiques morts pour la libération de la Tchécoslovaquie en 1945.

« Je déclare sincèrement que notre souveraineté n'est pas menacée », affirme Alexandre Dubcek à la télévision le soir même. Le départ des dernières troupes en manœuvre annoncé le même jour, sans être cette fois démenti, semble confirmer les propos du leader tchécoslovaque.

L'accueil triomphal des « rebelles »

Tito, depuis plusieurs semaines, n'attendait qu'un signe du gouvernement de Prague pour venir lui apporter son appui. La population tchécoslovaque lui fait, le 9 août, un accueil triomphal. Moins d'une semaine après Bratislava, c'est un peu un défi. Les dirigeants tchécoslovaques aggravent encore leur cas en invitant un autre rebelle, le Roumain Ceausescu. Il arrive à Prague le 15 août, le lendemain même d'une nouvelle mise en garde particulièrement sévère de la Pravda.