3 h 20. Radio-Prague diffuse pour la première fois la nouvelle de l'invasion.

À Washington, le conseil national de sécurité se réunit. Il siège pendant cinquante-cinq minutes.

4 h 30. Radio-Prague annonce que le praesidium du comité central siège sans interruption depuis plusieurs heures. Le gouvernement et l'Assemblée nationale sont convoqués. Quinze minutes plus tard, le même Radio-Prague annonce que tout le pays et la capitale sont occupés par les troupes du pacte de Varsovie.

4 h 50. Les communications téléphoniques sont coupées en Tchécoslovaquie et avec l'étranger. Les principaux bâtiments officiels de Prague sont encerclés par les chars soviétiques.

5 h 15. Premières manifestations hostiles aux Soviétiques à Prague. Selon les témoins, les jeunes gens parcourent la ville en camion, brandissant le drapeau tchécoslovaque et chantant l'hymne national. On entend les premiers tirs d'armes automatiques.

5 h 27. L'agence Tass, reprise par Radio-Moscou, affirme : « Des hommes d'État et du parti communiste tchécoslovaque ont demandé à l'URSS et aux autres États alliés de venir en aide au peuple tchécoslovaque frère en lui apportant une aide militaire » que « la menace des forces contre-révolutionnaires » rendait nécessaire.

5 h 34. Une colonne de blindés est en position autour du château Hradcany, siège de la présidence de la République.

6 h. Radio-Prague déclare : « En cette heure, la plus difficile de notre existence, nous, à Radio-Prague, soutenons totalement notre président, notre gouvernement légal et le comité central dirigé par Alexandre Dubcek. Il se peut que cette émission soit la dernière que vous entendiez, car la plupart des moyens techniques ne sont plus entre nos mains. Nous appelons donc tous ceux qui nous écoutent à faire circuler la consigne du comité central qui est encore en session bien que le bâtiment du comité central soit encerclé par des unités étrangères. Le camarade Dubcek, en qui nous avons pleinement confiance, transmet le message suivant : « Nous sommes convaincus que la meilleure ligne à suivre est de retourner au travail ce matin. Il s'agit ici d'un appel et d'une requête. Je vous en supplie, c'est la seule solution possible actuellement. »

Un peu plus tard, des militaires soviétiques pénètrent dans le bâtiment central et, sous la menace de leurs armes, obligent les chefs du « parti frère » à s'aligner face au mur avec interdiction de se parler autrement qu'en russe. Les dirigeants sont emmenés vers une destination inconnue. Cernik est embarqué de force dans un avion.

7 h 35. Radio-Prague annonce que les chars soviétiques se trouvent au bas de l'immeuble de la station et que des fusillades ont éclaté. Les émissions cessent, alors que la télévision (qui, exceptionnellement, émet depuis 7 h) annonce l'entrée de soldats soviétiques dans l'immeuble de la radio.

7 h 45. Radio-Prague a passé le relais au studio d'Ostrava. Les journalistes lancent leurs premiers appels à la résistance dans la discipline.

Vers la même heure, le monde entier apprend la tragédie tchécoslovaque. Après les premiers bulletins, les programmes des stations de radio sont interrompus à tous moments pour la diffusion des dernières nouvelles ; des titres énormes en première page des journaux annoncent l'événement. La stupeur est générale. Le même sentiment domine en Tchécoslovaquie, mais mêlé de colère et de douleur, ce 21 août 1968, premier jour de l'invasion.

Le président Svoboda reste le seul dirigeant en liberté. Liberté surveillée, dans sa résidence cernée par les chars soviétiques. Le général (il a 74 ans) fait appel, à deux reprises, au sang-froid de ses compatriotes. Rude Pravo, l'organe officiel du PC, dans un numéro ronéotypé, lui fait écho : « Gardez ce calme qui est notre seule arme. »

À Prague, à Brno, à Bratislava, à Pilsen, partout en Tchécoslovaquie, les jeunes acceptent moins facilement que leurs aînés les conseils de prudence. Ils se groupent spontanément, parcourent à pied, ou en camion, les rues de leur ville ou de leur village, brandissant des drapeaux tchécoslovaques et chantant l'hymne national. Ils interpellent les soldats soviétiques sur les raisons de leur présence : « Pourquoi êtes-vous venus ? » Parfois, les injures font place aux questions, quand ce ne sont pas des détritus qu'on jette. Des croix gammées apparaissent sur les chars et les camions des occupants. À Bratislava, des jeunes manifestent aux cris de « Américains hors du Viêt-nam ! Russes hors de Tchécoslovaquie ! »