Entre les premiers, amis du chef du parti communiste Wladyslaw Gomulka, et les seconds, qui se rangent sous la bannière nationaliste de Mieczyslaw Moczar, il n'y a plus désormais qu'une trêve tacite. Leur dénominateur commun — une alliance de circonstance contre les universitaires révisionnistes et les anciens cadres du parti, libéraux ou non, mais le plus souvent d'origine juive — a disparu en même temps que l'objet de leur vindicte.

Relance de l'antisémitisme

Dans le courant de l'été 1968, des milliers de juifs ont quitté la Pologne, certains, comme le professeur Bauman, feront des déclarations dénonçant « le nouvel antisémitisme polonais ». C'est une preuve pour la presse de Varsovie de leur appartenance à un « complot mondial des sionistes » visant à « ternir le bon renom de la Pologne ». Fin juin 1969, le gouvernement décide qu'après le mois de septembre l'exode des juifs sera interdit.

Des hommes comme Adam Rapacki, le ministre des Affaires étrangères qui a donné son nom au fameux plan de dénucléarisation de l'Europe centrale, devront s'en aller parce qu'ils n'approuvent pas cette campagne. Le 20 décembre 1968, un gomulkiste, Jedrychowski, le remplace à la tête de la diplomatie polonaise.

Les étudiants vont payer aussi. Des procès se succèdent en série. Rien qu'en novembre et décembre 1968, 10 étudiants seront condamnés à Varsovie et à Lodz à des peines allant de huit mois à deux ans et demi de prison. Mais les véritables vedettes de la contestation universitaire ne passeront en jugement que plus tard. Ils portent des noms célèbres en Pologne : Antoni Zambrowski est le fils d'un ancien membre du bureau politique du parti. Un rapport de la police l'accuse d'avoir prononcé un discours sioniste devant des employés de l'Institut de l'organisation industrielle à Varsovie.

L'épuration des gauchistes

Zambrowski, au cours de son procès, démentira formellement. Il sera condamné, le 10 février 1969, à deux ans de prison. Un mois plus tôt, deux jeunes assistants de l'université de Varsovie, Karol Modzelewski et Jacek Kuron, ont comparu devant les mêmes juges. Comme Zambrowski, ils font partie d'une opposition plus gauchiste que libérale, qui réclame la démocratie des conseils ouvriers et la lutte contre la bureaucratie communiste.

On les accuse maintenant d'avoir inspiré les manifestations de mars 1968. Le texte de la défense de Modzelewski circule sous le manteau à Varsovie. Il taxe de racisme le procureur qui, dans son réquisitoire, s'est appliqué à souligner à plusieurs reprises la consonance juive du nom de sa grand-mère. Pour ces récidivistes, la peine sera lourde : trois ans et demi de détention.

C'est l'action des Partisans qui a été le moteur de cette épuration. Il semblait légitime qu'ils en retirent les fruits en devenant la force déterminante du parti. Du fait, les organisations de base, en particulier dans les voïevodies de province, basculent de leur côté durant l'immense campagne politique qui va, pense-t-on, assurer le succès de Moczar au Ve congrès du parti, en novembre 1968.

L'échec temporaire de Moczar

C'est le contraire qui se produit. Gomulka, inquiet, réagit devant la montée de Moczar, qui est devenu en juillet membre suppléant du bureau politique (il a dû abandonner le poste clé de ministre de l'Intérieur, mais en y plaçant un de ses amis, Kazimierz Switala). Il charge Zenon Kliszko, un vieux gomulkiste, de dénoncer les « excès » de l'offensive antisioniste des Partisans.

Pourtant, quand s'ouvre à Varsovie, le 11 novembre 1968, la réunion décisive, le premier secrétaire du parti a en face de lui une majorité favorable à Moczar ; les Partisans croient pouvoir l'emporter. Mais le nationalisme outrancier de Moczar préoccupe Brejnev. Il vole au secours de Gomulka, qui se présente devant le comité central avec une feuille à la main : « Voici la liste du nouveau bureau politique que nous avons établie avec certains camarades. » Tout le monde a compris qui sont les certains camarades. Et les Partisans s'inclinent.

La nouvelle direction du parti reste à majorité gomulkiste. Moczar n'obtiendra pas plus que le strapontin qu'on lui avait accordé en juillet. Mais il a la satisfaction de voir éliminer Szyr, un de ses adversaires du bureau politique.