Lorsque le congrès se tient, à Bologne, du 8 au 13 février 1969, Enrico Berlinguer est désigné comme dauphin. Il concilie toutes les analyses, incarne une prudence embarrassée en cette période où le PCI ne peut qu'attendre avant de déterminer une tactique.

Comme les autres partis organisés, comme les centrales syndicales, le PCI a été, durant ces mois, régulièrement dépassé par les grands mouvements d'opinion et par les troubles qui, dans toute l'Italie, ont surgi comme des feux de brousse inattendus, violents et vite éteints. C'est le 2 décembre 1968, à Avola, près de Syracuse, la mort de deux ouvriers agricoles au cours d'un choc avec les carabiniers. Le 9 avril 1969, à Battipaglia, près de Salerne, la population se soulève et occupe l'autoroute et le nœud de voies ferrées ; les forces de l'ordre tirent : 2 morts.

Il n'est pas de semaine où, en quelque point de la péninsule, n'aient éclaté de tels événements, avec moins d'éclat, mais non moins de résolution. Les causes immédiates peuvent varier : à Avola, c'est le drame du sous-développement et de la mévente des agrumes ; à Battipaglia, celui, au contraire, d'une industrialisation à laquelle manquaient les débouchés. Partout, le même sentiment de la déréliction, de l'absence de participation à un jeu politique dont les structures sont féodales.

Entente entre groupes de pression

Quels contacts a d'ailleurs la classe politique avec la vie réelle du pays ? L'année écoulée montre que les décisions prises l'ont été en dehors du Parlement, par entente directe entre les groupes de pression.

Le 12 février 1969, le relèvement des pensions de retraite et la réforme de la Sécurité sociale sont décidés par des négociations entre le gouvernement Rumor et les grandes centrales syndicales. En octobre 1968, les accords Fiat-Citroën aboutissent sans intervention des organismes politiques. En mars 1969, la FIAT peut annoncer sa décision d'engager à Turin 15 000 travailleurs venant du Sud avec leurs familles, sans demander l'accord des services de planification ni passer par ceux de la main-d'œuvre.

Enfin, les deux grandes régies d'État, l'ENI (régie des pétroles) et l'IRI, peuvent s'entendre pour mettre régulièrement la main sur le paquet d'actions de contrôle de la Montedison, première firme de produits chimiques, sans que le pouvoir politique puisse s'y opposer. Entre la forme privée et la forme publique, le pouvoir économique agit avec dynamisme, et le capitalisme italien marche vers de nouvelles formules qui rendront caduques toutes les analyses classiques.

Le retour du balancier vers la droite

Les grandes décisions ont peu progressé. Fiorentino Sullo, ministre de l'Instruction publique dans le cabinet Rumor, a tenté de mettre sur pied une réforme de l'université qui attend depuis quatre ans. Il voit trop loin et s'en prend sans ménagements aux privilèges du corps professoral. En outre, il accepterait d'emblée le soutien communiste pour faire voter sa réforme. Le 22 mars 1969, il doit démissionner. Son successeur, Ferrari-Aggradi, présente le projet aux Chambres en mai.

Le débat sur le SIFAR (services secrets) s'enlise, tandis qu'éclate un nouveau scandale, l'affaire des tripots, qui provoque, en juin 1969, l'arrestation du chef de la police judiciaire de Rome, N. Scirè. Par ailleurs, le projet de loi sur le divorce progresse lentement.

La mise sur pied des réglons était un des points clés du programme de centre gauche depuis 1963. Les élections aux assemblées régionales avaient été fixées à novembre 1969. Leur report semble difficilement évitable, en l'absence de toute loi de finances pour assurer la vie des nouveaux mécanismes de la décentralisation.

Cette première année de la cinquième législature s'est close sur l'impression générale que la crainte d'une évolution du centre gauche vers la gauche (qui rendrait inévitable un jour l'alliance avec le PCI), ne provoque peu à peu un retour du balancier vers la droite, au sein même de la coalition.

Les contacts du parti libéral sur sa gauche se sont faits plus fréquents ; le parti républicain a freiné, puis renversé le cours qui l'emportait. La masse de l'opinion modérée et des grands corps, conservateurs par nature et tradition, s'est effrayée de la vague d'attentats d'origine anarchiste qui, depuis juillet 1968, se sont succédé, sans toutefois faire de victimes. La répression dans la rue a rassuré cette masse modérée dont les notables, ses porte-parole naturels, ont sensiblement pesé sur les mouvements internes de la démocratie chrétienne.