Au début de l'été 1968, on apprend que le ministre de l'Intérieur Antonio Arguedas — il était un des amis intimes de Barrientos — a fait parvenir, lui-même, à La Havane, une copie des carnets de campagne de Che Guevara.

Dès cette révélation connue, Antonio Arguedas s'enfuit au Chili, puis en Grande-Bretagne. De retour en Bolivie, où Barrientos refuse de le faire juger, il se lance dans une vaste campagne anti-américaine, dénonçant notamment les activités de la CIA. Le refus de Barrientos de faire passer en justice son ancien ministre est exploité par l'opposition et par ses rivaux militaires. Le président surmonte cette crise en formant un gouvernement uniquement composé de militaires et en décrétant l'état d'urgence. Il doit aussi promettre à son principal rival, le général Ovando Candia, de lui laisser briguer la présidence aux élections de 1970. La mort de Barrientos ne devrait pas profondément modifier ces plans, Siles Salinas étant un protégé d'Ovando.

Brésil

88 209 000. 10. 3 %.
Économie. PNB (66) 333. Production (65) : A 30 % + I 27 % + S 44 %. Consomm. énergie (*66) : 389 kg e.c.
Transports. (*66) : 13 724 M pass./km, 19 253 M t/km. (*66) : 1 337 000 + 1 059 900.  : 1 305 000 tjb. (*66) : 3 124 170 000 pass./km.
Information. (66) : 248 quotidiens ; tirage global : 2 764 000. (64) : *7,5 M. (66) : *2,5 M. (63) : 1 973 000 fauteuils ; fréquentation : 314,5 M. (66) : 1 431 653.
Santé (64). 34 251 .
Éducation (65). Prim. : 9 923 183. Sec. et techn. : 2 154 430. Sup. : 155 781.
Institutions. État fédéral. République présidentielle. Constitution de 1967. Président et chef de l'exécutif : maréchal Arthur Costa e Silva, élu le 5 octobre 1966, succède le 15 mars 1967 au maréchal Castelo Branco. Le président Costa e Silva assume tous les pouvoirs depuis le 13 décembre 1968 (Parlement en congé). Les mesures d'exception prises par Castelo Branco restent en vigueur. Partis autorisés : ARENA (Alliance rénovatrice nationale, gouvernementale) et Mouvement démocratique brésilien (opposition modérée).

Un coup d'État dans le coup d'État

Mille neuf cent soixante-huit aura été pour le Brésil (qui vivait déjà en liberté surveillée depuis le coup de force d'avril 1964) l'année du coup d'État dans le coup d'État. Le 13 décembre 1968, le président Costa e Silva suspend d'autorité le Parlement et s'adjuge la totalité des pouvoirs. Une nouvelle phase, plus dure que les précédentes, commence pour la « révolution » brésilienne, selon l'appellation des militaires. Le général Costa e Silva ne le cache d'ailleurs pas et annonce qu'il est prêt à faire « autant de révolutions qu'il le faudra ».

Une rebuffade pour les militaires

La résistance des parlementaires aux désirs de l'exécutif est à l'origine directe de ce nouveau durcissement. En dépit des innombrables pressions du gouvernement, la Chambre des députés avait refusé, par 216 voix contre 141, de lever l'immunité de l'un de ses membres, un jeune représentant de l'opposition, Marcio Morera Alves. Alves s'était fait remarquer à l'automne par un important discours dans lequel il critiquait l'armée, et celle-ci cherchait à le poursuivre « pour insultes » ; il lui fallait cependant obtenir d'abord la levée de son immunité parlementaire.

Le vote des députés constitue une véritable rebuffade pour les chefs militaires du pays. Ce vote est d'autant plus inattendu que le parti gouvernemental, l'Arena, détient en théorie la majorité absolue. Mais une centaine de ses membres joignent leurs voix dans cette affaire à celles de l'opposition.

Entre l'armée et la population

Cet incident parlementaire — il se soldera au début de 1969 par la suspension de plusieurs dizaines de parlementaires et par la levée de leurs droits civiques — traduit en fait un malaise beaucoup plus profond affectant la plupart des couches de la société brésilienne :
– les étudiants n'ont pas cessé leurs manifestations pendant tout l'été 1968 en dépit de l'interdiction gouvernementale. Toutes les villes universitaires sont le théâtre d'affrontements très violents avec la police, notamment Recife, Bahia, Rio de Janeiro, Porto Alegre et Brasilia, où l'armée occupe le campus de l'université sans en avoir reçu l'ordre. Ces manifestations incessantes entraînent une vigoureuse répression des autorités, qui se solde, en septembre, par l'arrestation d'environ un millier d'universitaires participant au congrès de l'Union nationale des étudiants (interdite). Cette répression est très mal accueillie par la bourgeoisie, dont les leaders étudiants, bien que révolutionnaires, sont issus généralement ;
– le fossé ne cesse de s'élargir entre les militaires anticommunistes au pouvoir et l'aile marchante de l'Église. Cet affrontement, qu'on croyait terminé, rebondit à la suite de l'agitation estudiantine, de l'arrestation et de l'expulsion de prêtres — accusés de « collusion avec la subversion » —, et de l'organisation, en juillet, d'une assemblée de l'épiscopat. De très vives critiques sont adressées à cette occasion à la politique sociale du gouvernement ; Mgr Helder Camara, l'évêque progressiste de Recife, forme avec trente-trois autres évêques le mouvement Action, Paix, Justice, très mal accueilli par les autorités ;
– une vague de terrorisme contribue également à alourdir le climat. Elle est due aux deux extrêmes de l'éventail politique. À l'extrême droite, des groupements bénéficiant de nombreuses complicités dans l'armée et la police, le MAC (Mouvement anticommuniste) et les CCC (Commandos de chasse aux communistes), agissent à de très nombreuses reprises sans être trop inquiétés. Il n'en est pas de même pour l'extrême gauche : les meurtriers d'un officier américain sont très vite arrêtés. Les autorités dénoncent également un « complot pro-chinois » qui aurait été tramé par C. Marighela, ancien leader communiste pro-soviétique ; l'affaire n'est pas suivie d'arrestation.

Une condamnation quasi générale

Ces multiples agitations se répercutent au sein de l'équipe militaire au pouvoir. De plus en plus, le général Costa e Silva est critiqué pour sa mollesse. C'est pour mettre un terme à ces critiques et satisfaire les éléments les plus durs de son équipe qu'il se serait décidé à accomplir son coup d'État du 13 décembre.