Journal de l'année Édition 1968 1968Éd. 1968

Dans cette bataille de Saigon, la tactique du FNL prend un triple aspect :
– Bombardement presque quotidien de la ville par des roquettes de 107 et de 122 mm et par des obus de mortier de 82 mm. Chaque bombardement est précédé de l'annonce, par la radio du Front, des secteurs susceptibles d'être touchés ;
– Infiltrations de maquisards à l'intérieur même de la ville et notamment à Cholon, où des combats de rues se sont déroulés plusieurs jours de suite ;
– Mise en place d'organisations politiques, et notamment du Front des alliances démocratiques et de paix, contrôlé par le FNL, et qui pourrait éventuellement entrer dans un gouvernement de coalition sud-vietnamien.

Cette offensive du FNL survenait au moment même où s'ouvraient à Paris les conversations américano-nord-vietnamiennes. Cela s'explique. Le Viêt-cong veut démontrer sa force et manifester ainsi son droit à participer à la négociation finale. Il veut aussi détruire le régime politique sud-vietnamien en portant la guerre dans sa capitale.

Cette recrudescence des combats risque-t-elle de compromettre les négociations de Paris ? Se souvenant de la Corée, les observateurs font remarquer que jamais les combats n'ont été plus durs que lors des conversations qui mirent fin au conflit.

La politique sud-vietnamienne

L'offensive du Têt, l'ouverture des négociations de Paris et la bataille de Saigon ont, au cours de l'année, rejeté dans l'ombre la politique sud-vietnamienne. Celle-ci est apparue comme un ballet de généraux plus préoccupés de leurs intérêts personnels que du destin de leur pays, pris en charge par les Américains. Cependant, rien ne sera résolu au Viêt-nam sans l'accord et la participation du gouvernement de Saigon.

Les élections du 3 septembre 1967, qui maintiennent au pouvoir les généraux Nguyen Van Thieu (président de la République) et Nguyen Cao Ky (vice-président), constituent la première étape d'une normalisation de la vie politique du Viêt-nam du Sud. C'était la première fois que les Sud-Vietnamiens étaient appelés aux urnes depuis la chute de Diem et la série de coups d'État qui avait suivi.

Cette normalisation (confirmée par l'élection de députés et la désignation d'un Premier ministre, Nguyen Van Loc) apparaît bien vite précaire. L'opposition entre les généraux Thieu et Ky paralyse toute activité politique. Tout au long de l'année on assiste à une lutte secrète entre le président et le vice-président.

Le fossé s'élargit

Ainsi, le général Thieu profite de l'offensive du Têt pour placer à la tête de la majorité des provinces des hommes à lui. De son côté, le général Ky conserve un contrôle important sur l'armée, tient la capitale grâce au général Loan, chef de la police, et télécommande le Premier ministre.

Au fil des mois, le fossé s'élargit entre le président et le vice-président de la République, et cela d'autant plus que leurs positions divergent fondamentalement sur l'avenir du pays. Thieu, relativement modéré, n'a jamais exclu une négociation avec le Viêt-nam du Nord. Ky, au contraire, a toujours été partisan de la guerre à outrance.

Écarté du pouvoir

La crise s'ouvre le 18 mai 1968. Le Premier ministre Van Loc présente sa démission au général Thieu, qui s'empresse de l'accepter et nomme à sa place Tran Van Huong, un homme pondéré, favorable à ses vues. Toute l'opération se déroule en l'absence de Ky.

En fait, le président sud-vietnamien, à force de marquer des points contre son vice-président, a pratiquement réussi à l'écarter du pouvoir. Même le général Loan, directeur de la police, grièvement blessé lors de la bataille de Saigon, a été remplacé par un partisan du général Thieu.

Ce remaniement gouvernemental et l'influence croissante exercée par le général Thieu prennent une importance nouvelle avec l'ouverture des négociations de Paris. L'intransigeance du général Ky constituait pour les Américains un obstacle à leur nouvelle politique vietnamienne ; à moins que celui-ci ne tente un coup de force, ils peuvent espérer maintenant que le gouvernement de Saigon ne s'opposera pas au processus de paix qu'ils ont engagé.