De même, du côté de l'opposition, l'obstination de François Mitterrand à demeurer le leader de la gauche et à forcer l'accord électoral avec les communistes et le PSU ne fait pas que rappeler sa tactique de l'automne 1965, mais préfigure la manche suivante de la compétition pour l'Élysée.

La « bipolarisation »

Ensuite, on retiendra de cette bataille que le regroupement des partis et des hommes en deux camps, sans être complètement réalisé, a fait d'immenses progrès — qu'on approuve ce phénomène désigné par les spécialistes comme la bipolarisation (et non le bipartisme, qui est d'une tout autre nature) ou qu'on le déplore. La confrontation des thèses et des ambitions, voire des tempéraments, ne se fait plus désormais en ordre dispersé, mais à l'intérieur des deux grands rassemblements qu'implique le second tour de l'élection présidentielle et qu'appellent — on l'a bien vu le 12 mars — le système électoral législatif, puis le fonctionnement de l'institution parlementaire.

Ce fut l'évidence pour la majorité, où les gaullistes de stricte obédience, les giscardiens et toutes les autres branches de la famille (gaullistes de gauche, de l'ancienne Union démocratique du travail, néo-gauchistes de la Convention, fauristes, pisanistes, anciens républicains populaires ralliés et individualités de tendances diverses) se sont tous trouvés finalement étiquetés du même label : Ve République.

Ce fut aussi clair jusqu'au premier tour pour l'opposition de gauche non communiste, réunie dans la Fédération et sous cette seule étiquette — socialistes, radicaux et conventionnels mêlés —, et plus encore au second, lorsque l'alliance avec les communistes ne fut rompue que par trois cas d'indiscipline en tout, contre plus de trente pour le Front populaire de 1936.

En sens contraire

La logique implacable de cette double coagulation ne joue cependant pas dans le même sens ici et là, elle joue même en sens contraire. Car la coalition majoritaire, détenant le pouvoir, ne peut que souffrir d'inévitables divisions internes et être amenée à pratiquer devant chaque problème brûlant soit le compromis, soit la recherche de majorité de rechange hors de ses rangs. Ainsi verra-t-on les communistes se joindre parfois aux gaullistes — contre l'amnistie, par exemple — et, en d'autres occasions, des centristes venir au secours de la Ve République.

Au contraire l'opposition, n'ayant pas de responsabilités, peut moins malaisément — même s'il se produit des temps d'arrêt, voire des reculs temporaires dans sa démarche sous le coup des événements — marcher sans cesse vers une coopération plus étroite, une alliance plus ferme contre l'adversaire commun. Les débats de la Fédération tournent, de ce fait, autour de la fusion des organisations participantes, et les pourparlers avec le PC et le PSU ont pour thème la recherche d'un programme commun à toute la gauche.

L'écrasement du centre

Une menace d'éclatement pèse en permanence sur la majorité, tandis que des forces centrifuges travaillent l'opposition.

Une troisième constatation que l'avenir illustrera s'impose au lendemain des élections : c'est l'écrasement, la quasi-disparition du centre. Si celui-ci, avec Jean Lecanuet, s'était manifesté avec éclat au premier tour de l'élection présidentielle, si on peut épiloguer à perte de vue sur les voix de tendance ou d'obédience centriste recueillies par les différents candidats qui n'appartiennent ni au gaullisme ni à la gauche, les 5 et 12 mars, il reste deux chiffres : avant les élections de 1967, le groupe du Centre démocratique comptait au Palais-Bourbon 54 députés ; après le scrutin, le groupe centriste de Jacques Duhamel ne comptait plus que 41 membres dont 16 seulement se réclamaient du Centre démocrate fondé par Jean Lecanuet.

En fait, on peut se demander si la fameuse bipolarisation n'exclut pas l'existence ou la renaissance d'un centre. On ne voit qu'une hypothèse où celui-ci pourrait se reconstituer : il faudrait pour cela, à la fois, que les divisions de la majorité gaulliste et giscardienne aboutissent à sa dislocation et que la gauche fédérée, bien loin de se rapprocher de plus en plus des communistes, rompe avec eux et reprenne sa liberté d'alliance avec les hommes et les partis situés à sa droite. Rien ne permet de prévoir que cette double condition soit remplie dans un avenir raisonnable. Or, si elle ne l'était pas, ce qu'on appelle le Centre serait condamné à devenir une simple annexe de l'un des deux camps, ou même à errer selon les circonstances de l'un à l'autre, jusqu'au jour où il serait pratiquement absorbé.

Le parlement à l'épreuve

Le premier test de toute Assemblée nouvelle, c'est l'élection de son président, choix d'autant plus important au Palais-Bourbon qu'il est fait pour cinq ans, pour toute la durée de la législature. La rentrée d'avril a vu deux candidats se manifester, ce qui concrétise bien la division en deux camps de la vie publique française, déjà constatée au second tour des présidentielles comme des législatives. À droite, Jacques Chaban-Delmas, qui occupe avec autorité et habileté le fauteuil présidentiel depuis plus de huit ans déjà, et qui a su demeurer un grand-duc du gaullisme après avoir été souvent ministre de la IVe République. À gauche, Gaston Defferre, le plus ouvert des socialistes, qui a tenté de constituer une « grande Fédération » avec le centre et qui fait figure de grand administrateur et de libéral. Donc, les deux candidats les plus capables de trouver des appuis chez l'adversaire.