On connaît aux virus deux propriétés d'un intérêt particulier en cancérologie : ils induisent la synthèse de l'ADN des cellules, ils facilitent donc une accélération des divisions cellulaires ; d'autre part, ils déterminent des modifications de la surface cellulaire et conditionnent ainsi l'expansion de la tumeur. Le virus agit en perturbant le message génétique de la cellule. Le caractère de malignité, une fois apparu, se perpétue selon une prolifération incontrôlable.

Le matériel génétique

S'il était prouvé que, d'une façon générale, à l'origine de toute tumeur cancéreuse on trouve l'action d'un virus, cela ne ferait qu'ajouter un maillon à la chaîne des éléments qui conduisent au bouleversement cellulaire. Cela n'exclurait pas le rôle éventuel des autres agents cancérigènes, ceux-ci pouvant être les facteurs déclenchants du pouvoir pathogène des virus, dont on connaît la prodigieuse diffusion naturelle.

Au cours de la multiplication cellulaire normale, on voit se manifester des formations définies d'ADN, les chromosomes. Ils transportent intégralement le patrimoine génétique de la cellule mère aux cellules filles. Le nombre et la morphologie des chromosomes sont caractéristiques de l'espèce à laquelle appartient la cellule. Chez l'homme, il y a 23 paires de chromosomes identifiables.

Dès 1914, soupçonnant l'origine du processus cancéreux, Boveri avait supposé qu'un changement chromosomique spécifique intervenait pour susciter les qualités nouvelles du tissu malin. On observe, en effet, d'une façon constante, dans les cellules cancéreuses, des modifications et des bouleversements chromosomiques.

Depuis quelques années seulement, on connaît l'existence d'anomalies chromosomiques constamment retrouvées à l'origine de certaines maladies. Dans un état complexe de retard et de perturbation du développement physique et mental, le mongolisme, on dénombre 47 chromosomes au lieu du chiffre normal de 46. Il y a trois éléments du type de la 21e paire, au lieu de deux (trisomie du chromosome 21). Les sujets porteurs de cette anomalie chromosomique sont beaucoup plus souvent atteints de leucémie que les sujets normaux : le risque est vingt fois supérieur.

On a pu observer, dans certaines familles, la corrélation entre une anomalie chromosomique et le développement de plusieurs cas de tumeurs malignes. On a constaté dans une variété de leucémie la présence presque constante d'un petit chromosome supplémentaire, le chromosome Philadelphie, du nom de la ville où il fut découvert.

Ce chromosome anormal se trouve dans les cellules du sang dès le début de la maladie. Au cours de l'évolution de la leucémie, on voit parfois s'accroître progressivement l'anomalie de la formule chromosomique. Et l'on a pu compter jusqu'à plusieurs centaines de chromosomes dans des cellules cancéreuses.

Bloquer le mécanisme

Tous ces faits viennent à l'appui d'une hypothèse selon laquelle toute anomalie initiale du matériel génétique accroîtrait les risques d'apparition d'autres anomalies, parce qu'il existe probablement une relation fondamentale entre l'état du matériel génétique et le déclenchement des processus cancéreux.

D'une façon extrêmement précise, selon un code représenté par l'ADN lui-même et transmis par l'ARN messager, le matériel génétique commande tous les processus chimiques qui caractérisent et conditionnent la vie cellulaire. La perturbation génétique s'accompagne de déséquilibres du métabolisme, qui, à leur tour, caractérisent et conditionnent la prolifération tumorale.

On peut agir sur la multiplication des cellules cancéreuses en modifiant la composition du milieu nourricier, c'est-à-dire la nature des apports chimiques fournis par l'économie générale : les cellules ne possèdent plus alors l'aptitude à utiliser les matériaux présents.

Cette notion, développée à Tōkyō par le professeur Jérôme Lejeune (France), est à la source de certaines thérapeutiques. L'administration d'hormones féminines enraye le développement du cancer de la prostate ; divers traitements chimiques du cancer consistent en administration de substances dites antimétabolites, qui bloquent le mécanisme des transformations chimiques indispensables à la vie et donc à la prolifération des cellules cancéreuses.

Les greffes de tumeur

On peut concevoir que l'identification de la perturbation génétique initiale fournisse l'indication d'une action thérapeutique spécifiquement dirigée contre le trouble métabolique caractéristique et responsable du dérèglement initial et décisif du cancer. Les notions génétiques se trouvent ainsi à l'articulation des mécanismes de la cancérisation et des perspectives thérapeutiques inspirées par la physiologie cellulaire.