Avec Alicia Alonso, on eut le privilège d'assister à une rare démonstration de danse romantique sous sa forme la plus pure, la plus parfaite, la plus impeccable. En dansant Giselle, Alicia Alonso domine le rôle. Ses hautes qualités techniques lui permettent de donner avec la même intensité une vision d'une Giselle heureuse, amoureuse, insouciante, puis soudainement d'une Giselle terrassée et en proie à la folie, ou encore éthérée, immatérielle, insaisissable. Alicia Alonso est plus qu'une grande danseuse, c'est aussi une comédienne dramatique de grande classe.

Virtuose incomparable

Nulle comparaison possible, cependant, avec celle qu'on peut, sans crainte, qualifier d'unique : Maïa Plissetskaya. Chacune de ses apparitions provoque, tant en Russie qu'à l'étranger, une émotion artistique inégalable. La critique et le public sont unanimes à le reconnaître.

Aux côtés du célèbre danseur soviétique Nicolas Fadeitchev, Plissetskaya a donné à Paris un pas de deux extrait du ballet de la Belle au Bois dormant et interprété en soliste Variation de Drigo et la Mort du cygne de Saint-Saëns.

Plissetskaya sublime la technique à un degré tel que celle-ci ne se remarque plus. Elle fait de son corps un instrument extraordinaire. On ne voit qu'un port de bras qui surprend, une souplesse, une légèreté qui suffoque et qui, finalement, hypnotise.

Dans la Mort du cygne, Plissetskaya atteint l'apogée de la danse classique, qui conserve avec une telle artiste une éternelle jeunesse. Virtuose incomparable, on ne la voit pas mener le combat avec elle-même. La vision laissée par la Plissetskaya dans la Mort du cygne est à la fois celle d'un être inspiré et d'un oiseau blessé qui, malgré les efforts pour vivre, subit inexorablement et non sans révolte l'instant suprême.

Le côté désuet

Au Festival international de la danse, l'Allemagne était représentée par le Ballet de l'Opéra de Munich, animé par Heinz Rozen, qui avait inscrit au programme deux de ses œuvres : Renard et le Maure à Venise, ballet spectaculaire interminable, avec changement de décors à vue.

Figurait également le Grand ballet classique de France, qui se veut le continuateur du Ballet Cuevas. On exhuma pour l'occasion Constantia, sur une musique de Chopin, et Corrida, du chorégraphe David Lichine. Rondo capriccioso a permis de revoir pour ses adieux à la scène Rosella Hightower, toujours aussi intacte dans sa perfection, et de découvrir un danseur sobre, viril et fougeux : James Urbin.

Malgré les incontestables qualités de ce corps de ballet, on a pu déplorer le côté désuet, inactuel des œuvres présentées. Les responsables des programmes oublient que le public devient de plus en plus averti et possède des points de comparaison qui l'autorisent à réfuter certains aspects de la danse.

Les amateurs de la danse classique n'ont pas davantage trouvé de satisfaction avec le ballet de l'Opéra de Tbilissi, dirigé par le grand maître Vachtang Chaboukiani. Avec l'Othello présenté, on a pu constater que l'époque de la tragédie-ballet est révolue, que les danses d'ensemble, si bien interprétées soient-elles, ne peuvent convenir qu'aux ballets folkloriques.

C'est également dans le cadre du IVe Festival international de la danse qu'il fut possible d'assister au deuxième volet du triptyque des chorégraphes modernes américains, avec Merce Cunningham et sa compagnie. Le premier volet fut présenté, il y a déjà deux ans, par Paul Taylor. Le troisième volet (qui, logiquement, aurait dû être le premier) sera offert au cours de la prochaine saison, avec la très grande Martha Graham, déjà annoncée.

Apprendre à voir

La venue à Paris de Merce Cunningham a été saluée comme un événement. Pour comprendre Cunningham, il faut oublier tout ce que fut la danse avant lui. Il faut aussi apprendre à voir la danse de la même façon qu'on est accoutumé à regarder la peinture, la sculpture, qu'on écoute une œuvre musicale contemporaine. Il faut désormais accepter comme actuel ce qui, pour beaucoup, ne semble qu'être expérience futuriste.

Merce Cunningham a imaginé un langage corporel et gestuel fondé à la fois sur les techniques modernes et classiques. De ce mariage est né un style Cunningham qui a pour conséquence essentielle de faire du corps humain un objet privé de toute contingence charnelle, de faire d'un corps un matériau.