Royan 1967 : la musique d'avant-garde possède maintenant un public nombreux et averti. Le festival de Donaueschingen, à la mi-octobre, et, avant lui, le festival de Royan à Pâques 1966 avaient déjà montré qu'elle n'est plus l'apanage de petites chapelles.

Insolite Glyndebourne

Avec un festival anglais, celui de Glyndebourne, dédié en 1966 à la musique française, la saison des festivals entre dans les mois d'été, où elle connaît son plein épanouissement. Le fameux et étrange festival lyrique de Glyndebourne, dont le petit théâtre se dresse, insolite, parmi les vertes campagnes du Sussex, rendait, pendant les mois de juin et de juillet, un hommage tout particulier à la musique française en montant le Werther de Massenet (auteur qui est actuellement en pénitence dans son propre pays — mais est-ce très injuste ?), et en donnant une très bonne représentation de l'Heure espagnole de Maurice Ravel. À quoi venait s'ajouter, également au titre des résurrections entreprises par Glyndebourne, le Dido and Aeneas de Purcell, dans une représentation très émouvante, dont le succès est dû notamment à la cantatrice Janet Baker.

Avec des hauts et des bas, le festival de Toulouse poursuit, sous le symbole de Messidor, des manifestations qui ont lieu depuis plusieurs années début juillet. Sur le plan culturel, la grande cité occitane se tourne volontiers du côté de l'Espagne. C'est un hommage à Manuel de Falla qui a été l'événement du festival 1966, et notamment la première audition en France de l'ouvrage ultime (et inachevé) que nous a laissé le maître espagnol, la grande cantate scénique intitulée l'Atlantida, partition inégale d'où jaillissent des pages simplement sublimes.

Dans la Grange de Meslay, près de Tours, le festival imprévu suscité depuis trois ans par l'enthousiasme du pianiste soviétique Sviatoslav Richter pour ce bel édifice du xiie siècle continue de réunir quelques-unes des plus spectaculaires vedettes d'une grande firme de disques, telles que Richter lui-même, Gundula Janowitz, Lorin Maazel, concerts sans nouveautés mais de grand luxe, à quoi s'ajoute le charme poétique du site.

Noblesse oblige

C'est l'agréable cure aixoise qui, fin juillet, retient le critique musical. À côté du répertoire mozartien maintenant traditionnel, deux événements ont dominé le festival d'Aix-en-Provence 1966 : d'une part la révélation, dans l'Ariane à Naxos de Richard Strauss, de la jeune et enthousiasmante cantatrice grecque Tatiana Troyanos, dont la voix et les qualités scéniques ont fait merveille ; d'autre part, la première représentation à Aix du Pelléas et Mélisande de Claude Debussy. Les deux principaux protagonistes, Eliane Lublin et William Workmann, se sont montrés très inférieurs à leur tâche ; mais les décors, les costumes et la mise en scène du peintre Jacques Dupont ont été un enchantement qui a réuni tous les suffrages. Jacques Dupont restera l'un des très rares décorateurs à avoir trouvé un cadre plastique correspondant aux exigences esthétiques de cet ouvrage qui est bien de Debussy, mais aussi de Maeterlinck.

Parallèlement se déroule à Saint-Maximin un festival désormais traditionnel de musique française classique. La principale vedette en est toujours le grand orgue historique construit au xviiie siècle par le frère J.-E. Isnard et conservé dans un état d'authenticité proche de la vérité originelle. Les plus grands spécialistes du répertoire de l'orgue français des xviie et xviiie siècles, Michel Chapuis, René Saorgin, André Stricker, cette année, viennent y faire résonner les timbres miraculeux de cet instrument dans un cadre poétique exceptionnel.

Karajan a choqué

Le festival de Bayreuth 1966 restera celui des débuts du jeune chef français Pierre Boulez dans Parsifal, mis en scène par Wieland Wagner, propre petit-fils de Richard Wagner, peu de temps avant sa mort. Succédant à des maîtres comme Furtwaengler ou Knappertsbusch dans la conduite du chef-d'œuvre le plus représentatif de l'art wagnérien, le Français Pierre Boulez a su donner à l'ouvrage une physionomie entièrement nouvelle, à la fois dégermanisée et universalisée, et a reçu à cette occasion l'hommage unanime de la presse allemande et internationale. Une telle réussite a été marquée d'un caillou blanc dans les annales du théâtre de Bayreuth, et la future carrière wagnérienne de Pierre Boulez semble d'ores et déjà tracée, et sous les meilleurs augures.