Quant à Mouchette, de Robert Bresson (fidèle à ses principes de ne tourner qu'avec des inconnus, peu expérimentés, donc plus vrais et non encore déformés par l'accoutumance d'un métier qui les rend prisonniers des conventions théâtrales), c'est un film d'une étrange et fascinante beauté, à la limite du supportable dans sa description impitoyable d'une petite fille sauvage et solitaire que la cruauté du monde ambiant contraint au désespoir.

Adaptant une fois de plus Bernanos, Robert Bresson, cet anachorète du Septième Art, prouve qu'il est l'un de nos cinéastes les plus exigeants.

Un grand « policier »

Parmi les autres productions notables de la saison, il faut mentionner en tout premier lieu le Deuxième Souffle, de Jean-Pierre Melville. La présence de Lino Ventura et de Paul Meurisse, un scénario froid et précis de José Giovanni, mais aussi une très belle mise en scène ont conduit ce film au succès, succès qui avait quelque peu boudé Melville à une époque où déjà (cf. Bob le flambeur) il s'affirmait comme l'un de nos seuls auteurs de films policiers.

Jean-Pierre Melville sait parfaitement concilier à la fois la description précise du milieu et le rythme américain, qui le plus souvent fait cruellement défaut à la plupart des productions françaises du genre.

C'est encore une distribution éblouissante — trop éblouissante sans aucun doute — qui a fait le succès du dernier film de René Clément : Paris brûle-t-il ? Cette superposition consciencieuse, qui narre les diverses péripéties qui ont précédé la libération de la capitale, manque néanmoins du lyrisme qu'on était en droit d'attendre pour une pareille épopée.

Paris brûle-t-il ?, lancé d'ailleurs avec un certain sens de l'opportunisme politique, comble néanmoins un vide dans la production française : aucun film d'envergure n'avait, en effet, été réalisé sur cet épisode capital de la vie des Français.

Une reconstitution plausible du Paris de 1944, un choix judicieux d'épisodes tragiques ont fait quelque peu oublier tout ce qu'avait d'arbitraire une brochette d'acteurs célèbres plus attachés à se faire la tête de leur modèle qu'à exprimer les désarrois et les espoirs d'un peuple brassé par les tourbillons des événements.

Louis Malle, dans le Voleur, a donné une adaptation délicate de l'œuvre de Georges Darien. Certains lui ont reproché d'avoir quelque peu gommé le côté mordant, anarchique et profondément violent de l'œuvre au profit d'arabesques formelles. Certes, le film a le charme d'une reconstitution d'époque, et c'est à la fois sa force et sa faiblesse. L'intelligence de Louis Malle n'est pourtant jamais prise en défaut, et il semble bien que l'auteur du Feu follet soit décidément plus doué pour décrire les hésitations d'une aventure individuelle que pour se mesurer aux spécialistes du genre dans la super-production colorée et quelque peu désordonnée (Viva Maria).

Thèmes à la mode

On attendait beaucoup de Robert Enrico après les Grandes Gueules, remarquable western à la française. Dans les Aventuriers, tiré d'un roman de Giovanni, Enrico a mis beaucoup d'atouts dans son jeu : paysages en couleurs, suspense, acteurs de poids, thèmes à la mode. Le résultat est quelque peu disparate, mais néanmoins supérieur au travail de Giovanni, qui, poussé par le démon de la mise en scène, a réalisé lui-même la Loi du survivant, tiré du même roman que les Aventuriers.

Fait notable

Autre succès public, celui-là très inattendu : le Vieil Homme et l'enfant, de Claude Berri, dont le principal mérite est d'avoir offert un rôle en or à Michel Simon que le cinéma boudait depuis plusieurs années (à qui il n'offrait tout au moins que des rôles indignes de lui).

Luis Buñuel, de son côté, a adapté un roman de J. Kessel, Belle de jour, qui a permis à Catherine Deneuve de s'imposer comme l'actrice de l'année la plus sollicitée.

Fait notable cette année : le Gabin et le Fernandel, valeurs sûres de ces dix dernières années, n'ont pas réussi à se maintenir. Sans doute ont-ils été tous deux trahis par des films médiocres (le Jardinier d'Argenteuil, de Jean-Paul Le Chanois, et le Soleil des voyous, de Jean Delannoy, pour le premier ; le Voyage du père, de Denys de La Patellière, pour le second). Mais il est probable que le manque de renouvellement des rôles de ces acteurs ait quelque peu lassé les spectateurs, pourtant fort bien disposés à leur égard.