Moscou insiste sur l'urgence de cet accord, mais, dans le même temps, multiplie les démonstrations de solidarité avec le Viêt-nam du Nord. L'Étoile rouge (le journal de l'armée) du 2 octobre annonce le départ des spécialistes. Il déclare, le lendemain, qu'Ho Chi Minh a obtenu de nouvelles assurances sur « le renforcement de la capacité défensive » de son pays. Excellente préparation au tête à tête Gromyko-Johnson du 10 octobre !

À sa sortie de la Maison-Blanche, pourtant, le Soviétique laisse entendre qu'un accord est en vue sur la non-dissémination. Pas un mot du Viêt-nam. Or, peu de jours auparavant, le président Johnson avait proposé une reprise du dialogue, laissé entrevoir un fort développement des échanges économiques et fait une concession majeure sur le problème allemand : la réunification sera une conséquence de la détente et non une condition de celle-ci.

L'offre était alléchante, mais elle est sèchement repoussée par Brejnev le 15 septembre : « Si les États-Unis veulent développer des relations utiles (lire : « Si vous voulez l'accord nucléaire ») [...], il faut écarter du chemin l'obstacle majeur, mettre fin aux attaques de brigands contre la République populaire du Viêt-nam. »

Manque de coordination entre le Comité central et le ministère des Affaires étrangères ? Certainement pas. Plusieurs déclarations des adjoints de Gromyko feront vite oublier ses propos optimistes de Washington (Rochtchin, le 9 novembre : « Les affirmations américaines sur les progrès de la négociation sont sans fondement et exagérément optimistes »).

Il s'agissait tout simplement de rester solidaires des Vietnamiens tout en amenant les Américains à admettre ouvertement qu'ils sont prêts à des concessions en Europe, s'il le faut au détriment de l'allié allemand. Cela pourra être utilement rappelé un jour.

Missiles antibalistiques

L'entente est toujours possible sur des problèmes secondaires (accord aérien du 4 novembre) ou moins secondaires (traité sur l'utilisation pacifique de l'espace). Le Sénat américain ratifie le traité consulaire (16 mars). Mais au Viêt-nam et à l'Allemagne est venue s'ajouter une autre difficulté. La création d'un système de défense antimissile en URSS n'entre-t-elle pas en contradiction avec la recherche de l'équilibre des forces qui est le but même de la négociation ? Les Américains l'affirment.

Les Soviétiques le nient. En URSS même, comme aux États-Unis, les avis divergent quant à son efficacité : le ministre de la Défense le dit sûr à 100 % ; le maréchal Tchouïkov est d'une opinion différente. La négociation est bloquée.

Ce n'est pas la déclaration de Brejnev, le 10 mai 1967, à Sofia, qui va la faciliter : pour la première fois, le secrétaire du parti ne parle plus seulement d'aide au Viêt-nam, mais de riposte à donner à l'intervention américaine. Moscou proteste, quelques jours plus tard, contre des collisions entre destroyers américains et soviétiques dans la mer du Japon, ensuite contre les bombardements, admis par Washington, de deux bateaux soviétiques, le Turkestan au large du port nord-vietnamien de Cam Pha, le 2 juin, et le Mikhaïl Frounzé dans le port d'Haiphong, le 29. Les incidents resteront-ils longtemps fortuits comme cela est encore le cas ?

L'Europe

Les dirigeants soviétiques estiment-ils le moment venu de ne plus se limiter à l'exploitation des divergences entre Américains et Européens de l'Ouest ? Envisagent-ils de mener avec ces derniers une négociation parallèle, comme le suggèrent leurs propositions de règlement des problèmes européens entre gouvernements de ce continent (Bucarest, juillet 66) ?

Les entretiens de Podgorny avec les responsables italiens en janvier 1967 seront plus vite oubliés que sa réception par Paul VI. Avant ce jour, jamais un chef d'État communiste n'avait été reçu au Vatican et jamais non plus un pape n'avait fait le geste d'offrir des cigarettes à l'un de ses visiteurs.

La naissance d'une nouvelle force à l'échelon mondial est une éventualité redoutée par le Kremlin. Le fait qu'elle puisse être indépendante des États-Unis n'arrangerait rien, bien au contraire.