xénophobie

Hostilité systématique à l'égard des étrangers, de ce qui vient de l'étranger.

La mondialisation serait-elle l’antidote à la xénophobie ? Cyberespace, marchés et capital mobile feraient donc fi d’une attitude archaïque à l’heure du transnational… L’hostilité à l’égard de l’étranger serait tout simplement irréaliste lorsque la « globalisation » empêche d’établir avec clarté la « nationalité » d’une entreprise. L’âpreté d’un rejet du non autochtone se verrait donc supplantée par le dynamisme de la compétition économique, où la rivalité prendrait l’apparence d’une saine émulation. Le clivage ne serait plus entre nationaux et « hors frontières », mais entre gagnants et perdants des échanges planétaires, la frontière étant réduite au rempart illusoire d’un État-nation lui-même en déclin. Des acteurs non étatiques, supranationaux, incarneraient des normes nouvelles, allant jusqu’à l’ingérence, pour faire respecter les droits de l’homme.

Entrave à la liberté économique, obstacle au progrès juridique, la xénophobie serait aussi désuète que des pathologies, telle la variole, prétendument disparues. Plutôt qu’objet d’aversion, l’étrangeté des étrangers deviendrait sujet d’exposition dans des musées et la curiosité intellectuelle de l’anthropologue/ethnologue éclipserait l’inculture haineuse. N’aurait-on pas définitivement apprivoisé la question « Comment peut-on être Persan ? » de Montesquieu en lui ôtant toute charge subversive pour la renvoyer au folklore ? Ouvrez une école, vous fermerez une prison, selon la recommandation de Victor Hugo. Ouvrez les frontières et vous fermerez les portes de la détestation ? Que penser alors de la crainte, médiatiquement mise en relief, du plombier polonais au moment du débat sur l’Union européenne ? Ce qui relevait presque du slogan masquait-il la crainte de perdre son emploi ou celle de perdre son identité ?

Pourquoi les ressorts de la xénophobie demeurent-ils si vivaces ? Parce que celle-ci spécule sur la menace du « parti de l’étranger », notion de propagande tenant la population sur le qui-vive pour dénoncer une influence occulte.

La capacité de mobilisation de la xénophobie est d’autant plus puissante qu’elle dote l’altérité d’une faculté d’altération. Aux yeux du xénophobe, c’est presque l’atmosphère elle-même qui se révèle corrompue. L’air devient irrespirable, le malaise s’instaure et il n’est pas fortuit que l’Étranger d’Albert Camus décrive ce qui est d’abord de l’ordre de la sensation avant de l’être de l’animosité. Très prosaïquement, ressentir la gêne d’un corps étranger est se sentir atteint dans sa familiarité avec l’ordre naturel des choses. Sentiment d’une brèche dans le cosmos, la xénophobie n’est-elle pas sourde aux discours du cosmopolitisme, puisqu’ils ne sont, justement, que discours ? Elle serait de l’ordre de l’affect que seul un autre affect peut contrecarrer. Elle quitterait le domaine de l’opinion pour se soumettre au règne de la passion.

L’opinion invite à admettre « vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ». La passion transforme l’opinion en faute, même sur les sujets les plus anodins. Les coutumes alimentaires ne sont plus ces goûts et ces couleurs dont on ne discute pas, mais autant de crimes de lèse-tradition dont il faut empêcher la propagation. Les xénophobes opposent une négation farouche à des préfixes perçus comme abstraits : trans ou supra (national) leur paraissent des artifices de langage sans lien avec l’expérience vécue. Il suffit d’un trait de plume pour tracer puis rayer ces préfixes, tandis qu’une longue errance est imposée à Ulysse qui, de retour chez lui, est un étranger porteur de vengeance.

Vengeance plutôt que reliance, concept-clé d’Edgar Morin, altération par différence infinitésimale sur fond de rivalité mimétique, selon la théorie du bouc émissaire de René Girard : la xénophobie cristallise un glossaire de la peur et de la haine, mais aussi de l’attraction/imitation. Cette ambivalence est présente dans l’étymologie : xénoo signifie à la fois « être à l’étranger, être absent, être en exil, être accueilli en hôte, recevoir l’hospitalité ». Quelle forme l’hospitalité peut-elle revêtir aujourd’hui quand le voyage se mue en nomadisme (nos objets familiers sont dits « nomades ») et lorsque des guerres civiles, basculant dans le génocide, transforment le voisin en étranger à exterminer ?