Un livre témoigne de la présence de nombreux Asiatiques aux États-Unis qui s'interrogent encore sur les violences subies par leur pays d'origine. L'ex-Coréen Chang-Rae Lee (les Sombres Heures du passé, 1999) présente l'autobiographie fictive du « bon docteur Hâta », incapable aux États-Unis de se faire aimer d'une fille adoptive et pour cause, il a été dans une existence antérieure témoin et complice du sort des Coréennes appelées de force à satisfaire les désirs des guerriers japonais, un sujet que le prix Nobel japonais Oe Kenzaburo se garde bien d'aborder !

Au sud

Si la vogue des ouvrages latino-américains est quelque peu passée, nous disposons cette année de plusieurs œuvres de facture mexicaine. Carlos Fuentes dans les Années avec Laura Diaz (1998) défend avec ce livre copieux le roman polyphonique, opposé aux formes minimales. L'intrigue se déroule de 1870 à nos jours et c'est toute l'histoire du Mexique moderne que revisite son héroïne. Au-delà se dessine le drame intime de l'auteur : la perte d'un fils. Se poursuit, par ailleurs, la publication des romans de Jorge Ibargüengoitia, disparu en 1983, avec Ces ruines que tu vois (1982) où, ajoutant au Mexique un État imaginaire, celui du Plan d'en Bas, il dresse le tableau volontiers frondeur de la vie et de l'histoire de son pays. Jorge Volpi (À la recherche de Klingsor, 1999) représente une nouvelle tendance plus tournée vers le monde extérieur et vers les événements mondiaux. Le Klingsor recherché pourrait être le père de la bombe atomique que l'Allemagne nazie ne parvint pas à achever, et c'est prétexte à faire apparaître un monde chaotique et les « lois de la mécanique criminelle ».

Ancien Continent

La littérature russe retrouve les voies du romanesque

D'Angleterre, qui cette année reçoit en la personne de V.S. Naipaul le prix Nobel, nous viennent enfin les deuxième et troisième romans de Martin Amis, Poupées crevées (1975) et Réussir (1978), un maître du récit piégé où les personnages sont réduits à l'état de pantins habilement manipulés. Plus attendu, le nouveau roman de Salman Rushdie (toujours menacé de mort par les islamistes), au titre violent de Furie (2000), met en scène un quinquagénaire d'origine indienne qui, devenu « injustement » riche, du moins le croit-il, veut affronter la bête capitaliste dans son antre new-yorkais. Livre inégal mais féroce et qui pourtant, à la fin pose la question redoutable : « Jusqu'où peut-on aller dans la quête de la justice avant de franchir la frontière et de parvenir, aux antipodes de soi, à l'injustice ? » Rushdie n'est pas seul à affronter les démons de l'argent : le traditionnel John Le Carré (la Sentence du jardinier, 1999), dans une intrigue qui se déroule en grande partie au Kenya offre un tableau sans concession des multinationales et de l'effondrement des valeurs.

Sur le Vieux Continent, les blessures ne se referment pas. L'Albanais Ismaël Kadaré, se servant habilement de la fable, alliant chapitres et contre-chapitres dans Froides Fleurs d'avril (2000), dénonce les réseaux de prostitution, le vol en tant qu'institution, tandis que les crimes du passé demeurent encore secrets – à quoi il faut ajouter les tomes IX et X des œuvres complètes, où l'on découvre les premiers troubles au Kosovo (1981) en même temps qu'un retour au passé avec le sultan Mourad contemplant jusqu'au dégoût les anciens massacres interbalkaniques.

Le Roumain George Craciun, dans Composition aux parallèles inégales (1982), se servait déjà du recours à une ancienne romance, « Daphnis et Chloé », pour faire apparaître en filigrane le triste destin des citoyens ordinaires soumis au poids d'une dictature.

Curieusement, la littérature russe actuelle retrouve les voies du romanesque avec la Ronde (1996), et son entrelacs d'aventures et de mésaventures, tandis que Mark Kharitov se comptait au fantastique social (Retour de nulle part, 1998), où le héros erre dans « le labyrinthe des rêves de béton répété ».

L'Allemand Hans Christoph Buch (Voyage en Afrique extrême, 1999) prend à bras le corps un génocide récent, celui du Rwanda en 1994, dans un récit alliant l'effort public d'impartialité d'un journaliste et l'écriture privée de son journal intime. Le livre révèle les séquelles du colonialisme, mais cherche à taire apercevoir en même temps le « sombre continent » qui est en nous. Le Néerlandais Cees Nooteboom (le Jour des morts, 1992) fait dire à l'un de ses personnages : « Nous vivons toujours parmi des assassins et des démons. »

Biographies et essais

Tout d'abord, la volumineuse biographie (1 243 p. plus iconographie) d'Arthur Rimbaud (accompagnée de Rimbaud à Aden) de Jean-Jacques Lefrère, qui est aux antipodes de celle plus ancienne et plus poétique d'Yves Bonnefoy (1961). Après les illuminations poétiques de l'adolescence, l'auteur s'attache surtout à suivre pas à pas l'enlisement de la destinée d'un homme pour qui la fuite en pays lointains est d'abord une constante lutte contre la misère et sans doute une volonté de se fuir : « Les dernières paroles de Rimbaud ont été un projet de départ ».