Cette eau qui enflamme le désert

La dispute à propos de Jérusalem, la convoitée, masque au grand public le plus important des enjeux, celui de l'eau. Par ses conquêtes territoriales, Israël s'est assuré les ressources en eau nécessaires à son développement économique. L'explosion démographique et le surdéveloppement des pays de la région rendent chaque jour cette eau plus précieuse. Aujourd'hui, il s'agit de faire prévaloir le sentiment d'unité de la région, ce qui suppose une confiance mutuelle après tant d'années de déchirement. Mais le prix de l'eau est celui de la vie, tout particulièrement pour le Moyen-Orient, qui ne peut plus se dispenser d'une paix.

L'eau a occupé une place prééminente dans les cultures anciennes du Moyen-Orient. Toutes les grandes civilisations antiques sont nées grâce à la maîtrise de l'eau : l'Égypte pharaonique au bord du Nil, la Mésopotamie (du VIe au Ier millénaire av. J.-C.) entre le Tigre et l'Euphrate, avec sa fabuleuse Babylone et ses jardins suspendus, etc. Pourtant, le désert couvre environ 60 % d'Israël, 70 % de la Syrie, 85 % de la Jordanie et 90 % de l'Égypte. De toute évidence, l'eau douce fait cruellement défaut au Moyen-Orient. Ces seules données géographiques mettent en lumière à quel point celle-ci peut constituer un nœud névralgique dans le bras de fer qui se joue dans la politique de la région. En fait, c'est bien là-dessus que bute le processus de paix engagé entre Israël et le monde arabe, et surtout l'OLP (Organisation de libération de la Palestine).

Autant en emporte l'eau

Le mercredi 24 mai de l'an 2000, l'armée israélienne (Tsahal) se retire du Sud-Liban après vingt-deux ans d'occupation. C'est un premier pas effectif qu'engage le Premier ministre Ehoud Barak vers le processus de paix. Cette nouvelle attitude doit permettre à Israël de sortir de sa politique d'invasion et de s'inscrire dans une perspective économique régionale du Proche- et Moyen-Orient. Car, depuis 1948, l'armée juive s'est âprement battue pour obtenir un accès aux différents points d'eau de la région. C'est pourquoi la présence du fleuve Litani, sur le territoire libanais concédé par l'État hébreux, constituait un élément stratégique. Car l'eau a toujours été et reste une des préoccupations majeures d'Israël.

En fait, dès sa création, Israël veut pouvoir subvenir aux besoins de ses habitants et même exporter. Le nouvel État va donc privilégier les fermes collectives agricoles, les kibboutzim. Mais les terres les plus fertiles, les terres de lœss, se situent... dans le désert du Néguev, qui couvre près des deux tiers du territoire : l'eau fait donc terriblement défaut pour en tirer profit. Afin de pallier cette pénurie, les pionniers creusent des puits artésiens et détournent les eaux de la rivière Yarkon, qui irrigue Tel-Aviv. Grâce à ces forages et à quelques canalisations venues du nord, l'agriculture irriguée passe de 30 000 hectares en 1948 à 150 000 à la fin des années 1960. Malgré ces travaux, il faut trouver une autre source d'approvisionnement. Cette source, c'est le Jourdain, fleuve-frontière qu'Israël partage avec ses voisins arabes. Il est difficile de prélever les eaux salvatrices sans risquer l'affrontement, d'autant plus que les trois affluents du fleuve traversent les territoires arabes : au nord, le Hasbani naît au Liban, et le Banias, en Syrie ; le Yarmouk traverse la Syrie et la Jordanie avant de se jeter dans le Jourdain, au sud du lac Tibériade. En 1953, les pourparlers menés sous la présidence américaine d'Eisenhower, afin d'établir un « plan d'utilisation des eaux du Jourdain », aboutissent à une impasse. Le gouvernement israélien décide alors de construire un aqueduc national destiné à irriguer tout le pays à partir du lac Tibériade, qui a l'avantage d'appartenir presque entièrement au territoire israélien. Après la prouesse technique de ramener le niveau de surface du lac de – 212 m à + 44 m d'altitude, l'aqueduc va être inauguré en 1964. L'eau du lac est amenée par une conduite en béton armé de 3 m de diamètre dans un vaste réservoir qui sert de château d'eau. De là, un canal souterrain transporte l'eau sur 130 km, de la Galilée au désert de Néguev.