Aurélien Ferenczi (Télérama du 1er décembre 1999)

Confirmation de talents en attendant le nouveau millénaire

L'année 1999 n'a pas été celle de grandes novations esthétiques dans le domaine du cinéma. À l'exception de Matrix de Andy et Larry Wachowski, qui préfigure une forme de cinéma qui tablera plus sur l'impact des éléments visuels que sur le scénario, on note surtout, avec le Projet Blair Witch, de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez, une formidable réussite de marketing... mais pas uniquement cela. Se situant tout à fait à l'opposé de Matrix – bande tournée entre amis avec trois ou quatre figurants pour une somme dérisoire –, le film, qui se présente comme le journal de bord de trois étudiants en cinéma qui décident de faire une enquête sur les phénomènes de sorcellerie dans la forêt de Black Hills, ne montre rien : la peur est uniquement suggérée par le commentaire des divers participants à l'opération. Cinéma purement conceptuel donc, le Projet Blair Witch a battu des records de recettes.

Située dans une problématique proche, eXistenZ (sic), de David Cronenberg, prolonge la réflexion du cinéaste sur le mélange des règnes (humain, animal, métallique, technologique) – ici, les personnages deviennent acteurs d'un vaste jeu vidéo – sans quasiment faire appel aux nouvelles technologies : il active directement le cerveau de ses cobayes. Pour rester dans le cinéma fantastique, signalons la grande déception causée par la vision de Star Wars Épisode 1, film pour lequel George Lucas est revenu à la mise en scène après vingt ans d'activités de pur merchandising. Le scénario est inconsistant, les acteurs ne sont plus que de pâles figurants face aux personnages en images de synthèse. Toutefois, Lucas tripatouille tout cela comme un artisan des années 1970 : on est loin de l'impact de Matrix. Marque de fabrication oblige, le film a été un colossal succès public.

Mais le cinéma élaboré de manière traditionnelle, avec de vrais personnages, intéresse toujours les Anglo-Saxons. Sorti quelques mois après sa mort, Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, œuvre ultime qui mit plusieurs années à se concrétiser, adaptée d'une nouvelle d'Arthur Schnitzler, aborde, comme chaque fois chez le cinéaste, un problème particulier (concret, spéculatif ou « science-fictionnel », en tout cas lié à la nature et au devenir de l'homme) qu'il restitue dans son langage personnel fait de longs plans-séquences. Ici, il traite le thème de la jalousie, autour duquel il construit tout un univers fantasmatique dont il a le secret. Après vingt ans d'absence, le trop rare Terence (sic) Malick (auteur des admirables Moissons du ciel en 1978) revient avec un remarquable film de guerre, la Ligne rouge, situé en 1942 à Guadalcanal et qui montre d'une manière quasi clinique le déroulement des opérations. Les techniques seules du cinéma (construction visuelle et dramatique, direction d'acteurs) préoccupent ces deux immenses cinéastes qui ne sont absolument pas touchés par la généralisation du langage télévisuel.

À l'approche du millénaire, les réalisateurs se sont mis à regretter le passé récent, celui qui tournait autour de la musique disco de la fin des années 1970, période de libération des corps et des cœurs, période encore sans sida, comme le montre le plus réussi des films axés sur le sujet les Derniers Jours du disco de Whit Stillman, véritable film d'auteur et réflexion douce-amère sur une époque. Proche de cet esprit « bulles de champagne », Woody Allen nous a donné un film aérien et stylé : Celebrity, où, pour une fois, il ne joue pas.

L'autre grand pôle cinématographique de cette année 1999 a été, comme c'est le cas depuis cinq ou six ans, l'Asie. Outre la confirmation du talent du Japonais Takeshi Kitano présent à Cannes avec l'Été de Kikujiro, un autre jeune Nippon commence à faire parler de lui : Kiyushi Kurosawa – sans parenté aucune avec l'auteur des Sept Samouraïs –, qui travaille sur le détournement des films de genre, le Festival d'automne et les Rencontres cinématographiques de Paris nous ont permis de voir une dizaine de films de ce créateur tout juste quadragénaire. Le meilleur d'entre eux, Cure – sur le cas d'un curieux étudiant en psychologie qui pousse certains individus à commettre des crimes – est sorti en salles, d'autres suivront. Dernier grand cinéaste à poursuivre une carrière exigeante et solitaire, l'Iranien Abbas Kiarostami. Dans Le vent nous emportera, la quête du personnage central – une vérité diffuse censée venir de l'esprit d'une vieille femme agonisante – rejoint celle du cinéaste : la recherche des pensées et des sentiments primordiaux, ceux auxquels on doit se référer quelles que soient les mutations sociales ou technologiques que nous vivons.