Mais d'autres préfèrent souligner, dans une période où l'on énonce la fracture sociale dans un langage urbain opposant inclus et exclus de la ville, le rôle civique de la cité. La ville n'est pas seulement affaire d'organisation « technique » de l'espace, elle rend également possible la cohésion sociale et l'esprit civique de ses habitants. Ce qui conduit à remarquer que « la » ville enterrée en grande pompe renvoie à l'image de la ville traditionnelle (la ville hausmannienne, la ville républicaine...), mais aussi à celle de la ville futuriste, celle de Le Corbusier pour qui l'habiter, le vivre-ensemble relèvent d'une science. La ville futuriste fait également l'objet d'un procès qui est celui de l'utopie scientiste : si la ville d'hier, celle dont nous avons la nostalgie, est bien morte, il en est de même de la ville utopique, celle qui a fait céder les architectes devant les contraintes de l'urbaniste et de l'ingénieur. Dès lors, il n'est de tâche plus urgente pour de nombreux architectes, urbanistes ou politiques que d'imaginer un troisième âge de la ville, de reconquérir la ville dans un monde organisé par les territoires (voir Ricardo Bofill et Nicolas Véron, l'Architecture des villes, Éditions Odile Jacob, 1995 ; Olivier Mongin, Vers la troisième ville ?, Hachette, coll. « Référence », 1995). L'architecte Christian de Portzamparc, au travail duquel plusieurs expositions vont être consacrées prochainement, affirme dans ce sens que nous entrons dans un troisième âge de la ville : « La ville, qui a été de tout temps un enjeu de pouvoir, une représentation de l'autorité et de la structure sociale, devient, à l'“âge III”, un phénomène plus complexe, plus vivant aussi, et plus difficile à planifier. Avec la décentralisation des pouvoirs, la démultiplication des pôles de décision, peut-on encore concevoir seulement à partir des planches des urbanistes, sans faire partager une vision du projet par une collectivité, au moins par tous ceux qui auront des parts de décision ? » C'est, pour l'architecte, tout le sens de l'utopie renaissante de la troisième ville : l'utopie d'une ville démocratique où la « relégation urbaine » – titre d'un célèbre rapport de Jean-Marie Delarue – ne serait pas pour les perdants, les hors travail, le destin des habitants de la cité.

Convaincus de l'impératif politique de la ville, les auteurs d'une grande partie des ouvrages publiés abordent directement la politique de la ville, les modalités d'intervention de l'État, la politique sécuritaire, les violences générées par l'exclusion, et le rôle des associations à une époque où la « non-ville » des banlieues s'embrase régulièrement (voir toute une pléiade d'écrits : Pour la ville, revue Projet, automne 1995 ; Jacques Donzelot et Philippe Estèbe, l'État animateur. Essai sur la politique de la ville, Éditions Esprit, 1995 ; André Barthélémy, Un avenir pour la ville. Face à la crise urbaine, Éditions Esprit, 1995).

Chômage et crise du travail

Recoupant les débats sur le chômage et la fracture sociale qui ont alimenté la campagne présidentielle, les analyses et rapports (voir le Travail dans vingt ans, Commissariat général du Plan, Jean Boissonat dir., Éditions Odile Jacob, 1995) concernant les métamorphoses du travail salarié dans les sociétés postindustrielles a doublement surpris les observateurs par leur qualité et par leur actualité. En effet, de manière soudaine et inattendue, des auteurs issus d'horizons disciplinaires et intellectuels divers se sont penchés sur le sort du travail.

À un premier niveau de l'analyse, celui qui est marqué par la conjoncture, certains d'entre eux se sont attaqués prioritairement aux principes qui gouvernent la politique économique française, prenant ainsi à revers ce qu'on appelle la « pensée unique » (celle dont le rapport Mine était le manifeste), à propos des taux d'intérêt par exemple (sur ce plan, le plus marquant a été l'ouvrage de Jean-Paul Fitoussi le Débat interdit. Monnaie, Europe, pauvreté, Éditions Arléa, 1995 ; voir aussi l'ouvrage collectif la France malade du travail, Éditions Bayard, 1995). Dans cette optique, l'essentiel est de dénoncer les errements d'une politique qui est à l'origine du chômage (voir aussi Denis Olivennes, la Préférence française pour le chômage, in le Débat, printemps 1995).