Dans cette optique, on assiste à un redéploiement des interrogations sur la violence : nouvelles formes de violence interétatique dans un contexte qui n'est plus celui de la dissuasion ; violences transnationales qui alimentent des discours sur le rôle de la mafia, le terrorisme, le trafic de drogue... (voir Bertrand Badie, la Fin des territoires, Fayard, 1995) ; mais aussi violences internes dont l'explosion des banlieues est la manifestation (Hans Magnus Enzensberger, la Grande Migration, suivi de Vues sur la guerre civile, Gallimard, 1995). Mais ces dernières donnent également lieu à des analyses de l'évolution des flux migratoires (Emmanuel Todd, le Destin des immigrés. Assimilation et ségrégation dans les démocraties occidentales, Seuil, 1994) ou à des polémiques sur la laïcité et la République (voir Guy Coq, Laïcité et République, Éditions du Félin, 1995 ; Élisabeth Altsschull, le Voile contre l'école, Seuil, 1995).

Capitalisme, technique et démocratie

Outre ces deux premiers axes de réflexion portant successivement sur l'interprétation des totalitarismes et sur les métamorphoses de la violence contemporaine, l'ouvrage de François Furet invite à prendre en considération un dernier type d'interrogations. Un siècle après la critique du capitalisme et de l'évolution de la technique par Karl Marx, on a l'impression que l'histoire se répète : on peut à nouveau se demander si les régimes démocratiques ne sont pas de simples vitrines juridiques destinées à légitimer la double expansion du capitalisme ou de la technique. Il apparaît que la démocratie contemporaine, à l'heure de la mondialisation économique et de l'entrée dans un monde qualifié de « virtuel », n'est guère capable de résister aux assauts du Capital ou de la Technique. N'aurions-nous donc guère avancé par rapport aux questions posées par Marx ? Dans ce contexte, l'intérêt manifesté récemment pour l'œuvre de Marx n'est pas arbitraire (voir Daniel Bensaïd, Marx l'intempestif. Grandeurs et misères d'une aventure critique, xixe-xxe siècles. De manière inattendue de la part d'un historien aronien, naturellement critique vis-à-vis de l'utopie, Furet affirme que l'avenir de la démocratie passe par une capacité à imaginer un autre rapport à l'utopie. À défaut d'une volonté utopique, la démocratie n'est guère assurée de survivre à elle-même, c'est-à-dire de résister aux utopies religieuses qui sont en gestation ailleurs. « La fin du monde soviétique ne change rien à la demande démocratique d'une autre société, et pour cette raison même il y a fort à parier que cette vaste faillite continuera à jouir dans l'opinion du monde de circonstances atténuantes, et connaîtra peut-être un renouveau d'admiration » (F. Furet, op. cit. p. 572). Dans cette optique, la réflexion de l'historien sur le communisme et l'Europe traduit une inquiétude profonde sur le devenir des démocraties.

La question de la ville

Si un thème est en phase aujourd'hui avec les interrogations sur la démocratie, la technique et l'évolution du capitalisme international, c'est manifestement celui de la ville. La littérature sur le sujet prolifère et les polémiques sont particulièrement vives. Après la grande exposition consacrée à la ville en 1993 au Centre Pompidou – « La ville. Art et architecture en Europe, 1870-1993 » –, de nombreux auteurs s'accordent pour décréter la « mort de la ville » et ne plus voir dans celle-ci qu'un élément du patrimoine ou un « personnage de musée ».

Dans cette optique, l'espace urbain traditionnel, celui qui était circonscrit dans une agglomération, est voué à disparaître au profit d'une extension de réseaux territoriaux et transnationaux. « Paradoxe, en effet, écrit Françoise Choay, que, dans le temps même où les études urbaines ont acquis droit de cité dans les universités et où l'urbain est devenu un substantif, nous assistons à [...] l'effacement du type d'agglomérations que l'Occident a appelé villes et dont, en dépit de ses banlieues, la métropole de la seconde moitié du xixe siècle fut le dernier avatar » (F. Choay, in Histoire de la France urbaine, p. 233). Si, de Paul Virilio à Françoise Choay, beaucoup d'auteurs (urbanistes, architectes, intellectuels, écrivains...) décrivent cette mutation, la considérant, dans des termes plus ou moins négatifs, comme inéluctable, d'autres se demandent au contraire si une nouvelle ville, nommée « métapolis » par François Ascher (Métapolis, Éditions Odile Jacob, 1995), n'est pas en train d'émerger dans le cadre d'une réorganisation de l'espace et du territoire (voir les Sociétés d'archipel ou les territoires du village global, Éditions de l'Aube, 1995 ; François Ascher, Lucien Brams et alii, les Territoires du futur, Éditions de l'Aube, 1995 ; Bernard Préel, la Ville à venir, Éditions Descartes et Cie, 1994). Dans ces divers cas, l'analyse de la ville est inséparable de celle des révolutions techniciennes et du réaménagement du capitalisme.