Même si les Français traînent parfois les pieds, ils sont, dans leur majorité, aujourd'hui persuadés de la nécessité de remettre le système social à plat. Ils sont prêts à des sacrifices, comme ils l'ont montré en acceptant sans broncher le report (progressif) à 65 ans de l'âge de la retraite, la diminution corrélative des pensions, l'augmentation de la TVA ou celle des impôts. Le risque lié à la mise en œuvre de réformes courageuses est aujourd'hui moins grand que le refus de les engager.

Mais il faudra que les efforts soient justement répartis. Les salariés du privé supporteraient mal en effet que ceux du secteur public continuent de bénéficier d'avantages aussi considérables que la garantie de l'emploi, la moindre obligation d'efficacité, la retraite plus précoce et mieux rémunérée... Ils comprendraient mal que certaines corporations indéniablement privilégiées comme les pilotes de ligne mettent en péril par leur irresponsabilité des entreprises dont les déficits se comptent en milliards de francs. Les actifs accepteraient mal que les retraités, dont le pouvoir d'achat moyen est supérieur d'environ 10 %, ne paient pas les mêmes cotisations qu'eux.

Les hommes et les partis politiques doivent donc être conscients des risques qu'ils prendraient en reculant l'échéance des réformes. Les syndicats ne pourront impunément continuer de bloquer celles-ci en faisant croire aux Français qu'on peut en faire l'économie ; les dix années d'endormissement, entre 1973 et 1983, devraient servir de leçon. Les médias, de leur côté, devront devenir davantage « citoyens ».

Du « système dé » au « système re »

Les mots en savent toujours plus que nous sur les choses. On s'aperçoit, en examinant les entrées dans le Petit Larousse, que beaucoup de mots commençant par dé- y sont entres au cours des années 80, notamment des verbes d'action : déscolariser (1981) ; dépénaliser (1982) ; débureaucratiser (1983) ; décompresser (1984) ; démotiver (1985) ; déréglementer (1986) ; déresponsabiliser (1987) ; décrédibiliser (1988) ; désinformer (1989)... Cette vague sémantique n'est pas due au hasard. Elle reflète les transformations et les mutations qui se sont engagées alors. Le « système dé » avait engendré les dérives, les décalages, les déséquilibres, les déficits ; il avait abouti à la déprime, parfois à la déraison, en tout cas à la démobilisation des Français.

Les années 90 marquent la fin de la transition amorcée depuis le milieu des années 60. Elles devraient faire une large place aux mots en re-. Les idées de réforme, de remise en cause, de redistribution, de recomposition, de reconsommation sont dans l'air du temps. Le « système re » qui s'est mis en place prépare l'entrée de la France dans le troisième millénaire. Il devra pour cela modifier les états d'esprit, inventer des solutions originales à des problèmes nouveaux (chômage, immigration, sida, dégradation de l'environnement, déséquilibre de l'assurance maladie, financement des retraites...). La reprise, celle de la confiance en l'avenir, est nécessaire et possible. La réforme est sa condition.

Gérard Mermet
Sociologue, auteur de Francoscopie, Larousse et de Tendances, Larousse, 1996