Pour la première fois, la loi de programmation a pris en compte les effectifs de la défense, qui, globalement, seront amputés de 42 100 personnes sur 606 000 : 12 800 emplois de civils et 29 300 de militaires (3 600 d'active et 27 500 appelés) disparaîtront. C'est l'armée de terre qui supportera l'essentiel de ces réductions puisqu'elle devrait perdre une de ses 9 divisions, avec une baisse de ses effectifs de 241 000 hommes à 227 000 hommes. Toutefois, la diminution du nombre d'appelés sera en partie compensée par le recrutement de 7 000 soldats professionnels. Qualifiée d'« effort exceptionnel » par François Mitterrand, la loi de programmation militaire a immédiatement soulevé des critiques dans les rangs du RPR, qui, par la voix de Jacques Baumel, a estimé qu'elle privilégiait les armements du passé en négligeant ceux du troisième millénaire. Rien de bien original, si l'on veut bien considérer que la loi de programmation reflète en réalité les traditionnelles contraintes de la cohabitation.

La doctrine du « fort au fou »

Les milieux militaires et le chef d'état-major, l'amiral Lanxade, ont paru désireux de voir les armées disposer d'un missile de croisière doté d'une tête à puissance variable et utilisable contre un adversaire plus « faible » que soi. Cette arme, qui pourrait être employée contre un État terroriste en lui délivrant un coup de semonce, a laissé supposer que la France pourrait ajouter un volet à sa stratégie nucléaire sous la forme d'une doctrine dite « du fort au fou ». Eu égard à la nature éminemment politique de la décision d'engager le feu nucléaire, il est fort probable que cette greffe ne prenne jamais. Reste que si la doctrine du fort au fou est loin de répondre aux mutations d'un monde profondément instable, elle aura eu le mérite de poser la question de la nécessaire adaptation de la posture stratégique, en cette fin de siècle qui a vu, avec la disparition de l'empire soviétique, la doctrine du faible au fort quelque peu ébranlée.

Vers l'armée de métier ?

Le service militaire vivrait-il ses derniers jours ? Le ministre de la Défense, François Léotard, a présenté le 12 octobre une série de mesures destinées à renforcer la formation des jeunes au cours du service national avec la possibilité d'effectuer 4 à 6 mois supplémentaires sous les drapeaux pour se former à un métier. Il a également annoncé un développement des formes civiles du service national, qui feront l'objet d'une supervision renforcée afin de mettre un terme aux dérives du système actuel. Toutefois, ces réformes ne prévoient pas de modifications de la durée minimale. Et le ministre a une nouvelle fois exclu tout passage à l'armée de métier.

Le service militaire en Europe

Allemagne : 12 mois

Belgique : pas de service

Espagne : 9 mois

France : 10 mois

Grande-Bretagne : pas de service

Grèce : de 15 à 23 mois

Italie : 9 mois

Pays-Bas : pas de service

Portugal : 4 mois

Russie : de 18 à 24 mois

Suède : 7,5 mois

Nucléaire : le domaine réservé est préservé

Le Livre blanc sur la défense, rendu public en février, avait indiqué la voie, le projet de loi de programmation l'a confirmé : il n'y a pas eu de polémique sur le nucléaire militaire entre Matignon et l'Élysée. Instigateur de l'arrêt des essais nucléaires français en 1992, François Mitterrand est un partisan convaincu du futur missile M5. Mais, contre l'avis des états-majors et du gouvernement d'Édouard Balladur, il s'était aussi prononcé en faveur du maintien et de la modernisation du plateau d'Albion, où sont déployés les missiles S3 de la composante terrestre de la force stratégique française. Dans son projet de loi, le gouvernement a donc cédé, du moins en partie, au président. Également partisan du M5, le ministre de la Défense, François Léotard, a obtenu que sa mise en service soit reportée de manière à étaler les coûts. Des crédits symboliques sont toutefois consacrés à la modernisation du plateau d'Albion. On l'aura compris, il s'agit de laisser du temps au temps puisqu'il appartiendra, in fine, au futur président de prendre la décision d'abandonner ou non le site d'Albion à l'échéance de 2005.