Ses rictus trahissaient son inquiétude. Les quarante-huit dernières heures avaient été pénibles. La veille, lors de la deuxième séance d'essais, le pilote autrichien Roland Ratzenberger, un novice de la F1 s'était tué. Lancée à plus de 300 km/h, sa Simtek-Ford avait perdu un aileron et était sortie de la piste avant de heurter de front le mur du circuit. Senna s'était immédiatement rendu sur les lieux de l'accident pour tenter de comprendre, de reconstituer les faits. La Fédération internationale le lui reprochera quelques heures plus tard, allant même jusqu'à lui demander de se justifier. « Il n'appartient pas aux pilotes de se substituer aux autorités sportives », expliquera-t-elle en substance.

Lors de la première séance d'essais du vendredi, le jeune compatriote de Senna, Rubens Barrichello, avait frôlé le pire. Sa Jordan-Hart avait décollé du sol à 270 km/h pour aller percuter violemment le grillage de sécurité. Par miracle, Barrichello sortait indemne de l'accident. Quand il reprit ses esprits au centre médical du circuit, Senna était là, à ses côtés.

Avant le Grand Prix, le triple champion du monde s'était longuement entretenu avec les autres pilotes sur un seul thème de discussion : la sécurité du circuit d'Imola, l'un des plus rapides de la saison. Autre sujet d'inquiétude pour Senna : l'inconfort de sa Williams-Renault. Il s'était plaint avant Imola d'être mal à l'aise dans le baquet de sa voiture. Après la deuxième séance d'essais, il déclarait : « Dans cette séance, il n'y a pas eu un seul instant où je suis arrivé à sentir la voiture suffisamment “confortable” pour aller vite en toute sécurité. »

Ce 1er mai, après dix-huit minutes de course, dans le virage de Tamburello, à 300 km/h, Senna perdait le contrôle de sa voiture qui heurtait le mur avec une violence inouïe. Le décès du pilote, transporté d'urgence à l'hôpital de Bologne, était officialisé quatre heures plus tard. Le monde de la F1 était sous le choc. Le sport automobile venait de perdre l'un de ses plus grands champions.

Au Brésil, où la carrière de Senna était suivie avec passion, le président Itamar Franco décrétait trois jours de deuil national. Le 4 mai, dans les rues de São Paulo, un million de Brésiliens assistaient aux obsèques du pilote. Et le quotidien Globo résumait l'état d'esprit général : « Désormais nos dimanches seront tristes... »

Tex Romario

« Après le décès accidentel d'Ayrton Senna, le Brésil est devenu orphelin. Je suis son nouveau roi. » La modestie n'appartient pas à l'univers de Romario. Le joueur le plus talentueux de la planète n'a de comptes à rendre qu'au « Très Haut » : « Dieu m'a tout donné et c'est pour lui que je joue. » Romario a pris l'habitude de lever l'index vers le ciel à chaque fois qu'il fait trembler les filets adverses. En guise de reconnaissance...

Né dans une favela de Rio de Janeiro en 1966, Romario de Souza Faria doit tout au football. Son parcours est celui dont rêvent des millions de ses concitoyens pour qui le ballon rond est une raison de vivre, de survivre parfois. Football de rues, football de plages et un premier contrat professionnel dans le club de Vasco de Gama, l'un des plus populaires du pays. La réputation de cet attaquant explosif, court sur pattes (1,68 m), franchit l'Atlantique. Recruté par l'équipe néerlandaise du PSV Eindhoven, Romario découvre subitement le froid, la solitude, le doute. Il ne brille que par intermittence dans un pays et un club qui se situent aux antipodes de son caractère extraverti. Sa mégalomanie et ses caprices de star agacent. Ses sorties nocturnes font jaser.

Début 93, le sélectionneur brésilien Carlos Alberto Parreira décide de se passer de ses services. Transféré à Barcelone à l'intersaison, Romario ne tarde pas à retrouver toute l'étendue de son potentiel. Le jeu offensif, débridé prôné par l'entraîneur barcelonais Johann Cruyff lui convient à merveille. Il multiplie les exploits personnels, les passes décisives, les accélérations foudroyantes et les buts. Parreira le rappelle en sélection pour le match décisif d'éliminatoires de Coupe du monde contre l'Uruguay. Il qualifie son pays pour les États-Unis.

L'idole des favelas ne déçoit pas ses fans pendant la phase finale. En inscrivant cinq buts en sept matchs, Romario est le principal artisan du succès brésilien que tout un peuple attendait depuis 24 ans. Le monde entier a savouré les géniales inspirations de cet attaquant racé à qui, un jour, l'entraîneur argentin Jorge Valdano a joliment rendu hommage : « Regarder jouer Romario, expliquait-il, c'est comme regarder un dessin animé de Tex Avery, on ne sait jamais ce qui va arriver ! »