Italie : les « faisceaux » de l'actualité

Du MSI à l'Alliance nationale

Le 20 septembre 1994, un commando de députés du MSI-Alliance nationale, parti membre de la coalition des droites (avec Forze Italia et la Ligue du Nord) au pouvoir depuis les élections du 27 mars, agresse dans l'hémicycle du Parlement un collègue écologiste dont les propos ne leur conviennent pas. Une action dans le plus pur style fasciste, accompagnée de pitoyables vociférations telles que : « Ta gueule, pédé ! » C'est le point d'orgue de l'ascension des néofascistes dans les sphères du pouvoir et les sondages d'opinion. Relégués dans une opposition peu glorieuse depuis la Seconde Guerre mondiale, handicapés par un « pacte antifasciste » fort de 95 % des suffrages, ils n'avaient jamais pu s'approcher du pouvoir avant les municipales de novembre 93 dans la capitale. À cette occasion, Rome avait assisté, médusée, à la percée du jeune Gianfranco Fini, 43 ans, patron du MSI par volonté testamentaire du père fondateur du parti, Giorgio Almirante. Souriant, distingué, dur parfois, mais toujours correct avec ses adversaires dans les débats télévisés – exercice dans lequel il excelle –, M. Fini, avec 47 % des voix au second tour, avait failli s'emparer de la mairie, grâce entre autres au secours de Silvio Berlusconi, le magnat de la télévision privée et deuxième fortune de la péninsule, qui avait gardé jusque-là des rapports très étroits avec les partis dominants de celle qu'on appelle désormais la « première République » : la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste. Moins d'un an plus tard, M. Fini était considéré dans les enquêtes comme « le meilleur leader du centre droit, le plus compétent et le plus honnête ». Aux législatives du 27 mars, l'Alliance nationale, paravent du MSI, était déjà le premier parti des moins de 25 ans. Au fil des mois, les sondages ont mesuré ses progrès et lui attribuent jusqu'à 20 % des intentions de vote. S'agit-il de suffrages fascistes pour un parti fasciste ? Les inquiétudes pour la démocratie italienne exprimées le 4 mai par le Parlement européen, qui avaient suscité l'indignation du président de la République – le très catholique M. Oscar Luigi Scalfaro – étaient-elles ou non dénuées de fondement ?

À peine installés au pouvoir avec leurs 5 ministres, dont le vice-président du conseil M. Pino Tatarella, qui est également ministre des Postes et Télécommunications, les hommes de l'extrême droite ont déclenché une chasse aux sorcières dans tout le secteur public, avec une attention particulière pour la Banque d'Italie – accusée d'être sous l'influence de la « finance internationale juive » – et l'audiovisuel. Le bras droit de M. Fini, M. Francesco Storace, a même demandé la tête des directeurs des grands quotidiens privés, les traitant au passage de « pédérastes ». La décision de dissoudre le MSI, parti ouvertement néofasciste, pour le recycler dans l'Alliance nationale, dont les quatre roues motrices seraient selon M. Fini « le nationalisme, le catholicisme, le libéralisme et la culture sociale (sous-entendu du corporatisme fasciste) » a été approuvée par le comité central 72 heures après l'agression perpétrée au Parlement contre des députés de l'opposition. Des événements qui rappellent fâcheusement certains incidents du début des années 20. D'autre part, M. Fini n'a-t-il pas déclaré le 5 juin que « jusqu'en 1938, c'est-à-dire jusqu'à la minute précédant l'adoption des lois raciales, il est très difficile de juger le fascisme de manière globalement négative » ? N'a-t-il pas prétendu que « Mussolini est incontestablement le plus grand homme politique italien du siècle » ? Quant à M. Silvio Berlusconi, non content de laisser faire ses turbulents alliés, il en a toujours vanté les vertus démocratiques. On lui prête l'intention de constituer avec M. Fini un seul grand parti de toute la droite.

Forze Italia : du marketing à la médiacratie

« Ou vous serez avec moi au Palais Chigi (siège de la présidence du Conseil) ou vous viendrez à mes funérailles », avait-il lancé en décembre 1993 à ses collaborateurs, dont certains étaient hostiles à l'aventure politique du « Cavalière ». Une aventure décidée déjà depuis plusieurs mois, qui deviendra officielle le 26 janvier, une dizaine de jours après la démission du cabinet de centre gauche présidé par M. Carlo Azeglio Ciampi. Ce jour-là, un sondage attribuait au mouvement nouveau-né du magnat des télévisions, de la presse, de la grande distribution, de l'assurance et de l'immobilier 16 % des intentions de vote. Il en recueillera 21 % au soir du 28 mars, 44 % avec ses alliés du « pôle des libertés ». Pour quelle raison M. Berlusconi a-t-il voulu prendre le risque de se lancer en politique ? « Pour sauver l'Italie du communisme. » Cinq ans après la chute du mur de Berlin ? De l'avis presque unanime des grands éditorialistes, M. Berlusconi avait essentiellement deux raisons : défendre son empire et se défendre lui-même. Jusqu'en 1992, le groupe Fininvest était protégé par les socialistes de M. Bettino Craxi, dont il était parmi les bailleurs de fonds. Ceux-ci empêchèrent d'abord le Parlement de légiférer sur les télévisions privées en permettant à M. Berlusconi d'asseoir un monopole de fait, puis ils contribuèrent à l'approbation d'une loi – toujours en vigueur – qui l'entérinait. Avec la fin de la « première République », le groupe perdait ses protecteurs : d'où la décision de M. Berlusconi de protéger ses propres entreprises en formant un parti politique, Forze Italia (« Allez l'Italie »).