Cette seconde intervention française, qui mobilise au total huit bâtiments de la flotte, est violemment critiquée sur place, notamment côté musulman. L'OJR en profite pour proférer de nouvelles menaces contre les otages occidentaux. M. Mitterrand, dénonçant ses contempteurs, réaffirme le 23 août que la flotte accomplit une « mission de sauvegarde » et qu'« il n'appartient à aucun pays ni à aucun groupe de dicter à la France ce qu'elle doit faire ». Mais, en même temps, pour désamorcer les critiques, Paris décide à la fois d'alléger son dispositif naval en Méditerranée orientale et de relancer son action diplomatique. Le secrétaire général du Quai d'Orsay, M. François Scheer, se rend à Damas et à Beyrouth.

L'URSS, elle aussi, rentre en scène au Liban. Déjà, lors de sa visite à Paris début juillet, Mikhaïl Gorbatchev avait réaffirmé avec M. Mitterrand les principes de souveraineté et d'indépendance du Liban. Fin août, un vice-ministre soviétique des Affaires étrangères, M. Guennadi Tarassov, se rend à Beyrouth, où il déclare qu'« il n'y a pas de solution militaire » au conflit libanais. Au moment où l'URSS arrive, les États-Unis se replient. Le 6 septembre, les diplomates américains encore en poste à Beyrouth-Est évacuent leur ambassade. Washington met ainsi à exécution sa menace de se désintéresser totalement du Liban en cas d'attaque trop violente contre sa politique.

Entre les États-Unis, soucieux de ménager Damas, pièce maîtresse à leurs yeux de tout règlement israélo-arabe, et le général Aoun, les relations n'ont jamais été bonnes. En avril, le chef chrétien avait qualifié l'Amérique de « Ponce Pilate des temps modernes ». Des manifestants avaient participé à un premier sit-in devant l'ambassade. Cette fois, le général accuse Washington d'avoir « vendu le Liban à la Syrie » et ses partisans encerclent à nouveau la chancellerie. Saisissant ce prétexte, les États-Unis décident de mettre la clef sous la porte et d'abandonner à son sort un pays qui ne leur a guère porté chance.

L'accord de Taëf

Le monde arabe, lui, se réintéresse au Liban. Le triumvirat Maroc-Algérie-Arabie Saoudite, qui avait fait, début août, un premier tour de piste pour rien, reprend ses activités le 13 septembre. Quatre jours plus tard, il annonce un plan de règlement qui, sans contester la présence syrienne au Liban, prévoit la mise en place d'un « comité de sécurité » pour veiller au cessez-le-feu, la levée du blocus imposé au « pays chrétien » par Damas et la réouverture de l'aéroport de Beyrouth. Échéance plus ambitieuse : les députés libanais sont invités à débattre, à partir du 30 septembre, des réformes politiques exigées par les dirigeants musulmans alliés de Damas. Le général Aoun, qui n'a guère d'autre choix, accepte les propositions du triumvirat.

À la date convenue, 62 députés libanais commencent à négocier à Taëf, en Arabie Saoudite. Leurs laborieuses tractations durent trois semaines. Le 22 octobre, l'accord de Taëf est scellé. Approuvé par les élus, le document d'« entente nationale » modifie dans un sens plus favorable aux musulmans – devenus majoritaires dans le pays – l'équilibre des pouvoirs entre les diverses communautés. Cependant, malgré l'insistance des députés chrétiens, le texte parrainé par les Arabes ne souffle mot d'un éventuel retrait de l'armée syrienne. Il se contente d'évoquer un « regroupement » des forces de Damas dans certaines régions du pays et cela deux ans seulement après la mise en œuvre des réformes politiques. La réaction du général Aoun est immédiate. S'il ne conteste pas la nécessité d'un remodelage institutionnel, il rejette les chapitres du pacte relatifs à la souveraineté nationale – en clair, au stationnement des troupes syriennes. Il accuse les députés d'avoir « outrepassé leurs pouvoirs ».

Dès lors, une nouvelle épreuve de force s'annonce. Mobilisant la population contre l'accord de Taëf, le général Aoun organise plusieurs manifestations de rue en sa faveur à Beyrouth-Est. Politiquement, le chef chrétien est pourtant isolé dans son propre camp. Pour tenter d'empêcher l'élection présidentielle, il dissout le Parlement le 4 novembre.