Les avances du numéro un soviétique en matière de forces conventionnelles témoignent de la complexité du problème. Il est vrai que les négociations de Vienne sur la réduction des armements classiques piétinent depuis 13 ans. Ce qui explique en partie le flou des propositions de Mikhaïl Gorbatchev en la matière : « Les conversations devraient avoir pour objectif une réduction majeure des forces armées et des armements, couplée avec l'établissement d'une vérification internationale et des inspections localisées. » Ainsi, Gorbatchev a créé l'événement en répondant point par point aux objections de l'OTAN. Les Occidentaux étaient pris au piège, et il leur fallait considérer d'un œil moins sceptique cette dénucléarisation progressive qui apparaît de plus en plus clairement comme l'objectif avoué des Soviétiques. L'URSS ayant rempli toutes les conditions annexes à un grand accord sur l'élimination des missiles de portée intermédiaire, tout semblait concourir à un règlement rapide.

L'épisode des Pershing IA

Les spectaculaires avances soviétiques avaient placé la RFA dans une situation particulièrement délicate. Déjà, en avril, le ministre des Affaires étrangères, M. Genscher, insistait sur le maintien nécessaire d'un certain rapport de forces avec l'URSS dans le domaine des armes nucléaires. De quelles armes s'agit-il ? Le flou entretenu est significatif du malaise ressenti à Bonn. N'ayant pas les moyens d'engager une partie de bras de fer tout à la fois avec Moscou et Washington, le gouvernement ouest-allemand n'entendait cependant pas glisser vers la plus grande « dénucléarisation » au rythme américano-soviétique. Tout comme son homologue britannique, sir Geoffrey Howe, qui soulignait la nécessité d'éviter une trop grande précipitation, M. Genscher entendait parler un temps la langue de Shakespeare : « Wait and see. »

Mais la RFA avait-elle la possibilité de freiner ainsi longtemps ? Non, car l'URSS posait bientôt la bonne question : quel serait le sort des 72 fusées Pershing IA, à la fois propriété allemande et dotées de têtes nucléaires américaines ? En ressortant les Pershing IA que tout le monde semblait avoir oubliés, Moscou soufflait le chaud et le froid. Le but de la manœuvre était clair : le Kremlin désirait accélérer le processus de désarmement en isolant la RFA ; les Soviétiques allant même jusqu'à brandir le spectre d'une « crise politique grave ». Le point de vue de Moscou est très simple : si ces engins sont américains, ils doivent être démantelés comme les autres armes de portée intermédiaire dans le cadre de l'accord envisagé ; si ces missiles sont ouest-allemands, la RFA se trouve alors en contravention internationale : la République ouest-allemande n'a « ni légalement, ni moralement le droit d'en posséder ». La question soviétique aura eu le mérite d'être particulièrement réfléchie puisque les Pershing IA sont déployés depuis une vingtaine d'années. Helmut Kohl, en refusant catégoriquement toute prise en compte de ces fusées, allait-il compromettre la conclusion d'un traité historique ? Le suspense ne dura pas longtemps. Le 26 août, le chancelier ouest-allemand annonçait son intention de renoncer aux Pershing IA dans le cas où un accord sur l'élimination des euromissiles serait conclu entre Washington et Moscou. C'était précisément ce qu'on lui demandait.

La rapidité avec laquelle la RFA est rentrée dans le rang satisfait donc Washington et Moscou. À qui en attribuer la paternité, sinon les pressions ? Probablement ni à la Maison-Blanche, ni au Kremlin. S'apprêtant à recevoir M. Honecker, son homologue est-allemand, Helmut Kohl ne pouvait se permettre de risquer d'hypothéquer un événement aussi symbolique en maintenant une position intransigeante sur la question des Pershing IA. Le chancelier allemand a toutefois essayé de sauver la face en ne donnant pas entière satisfaction à l'Union soviétique, qui exigeait une prise en compte formelle des Pershing IA. Selon le chef de la coalition au pouvoir à Bonn, c'est par une décision unilatérale que les engins seront détruits après conclusion et ratification du traité américano-soviétique. La rapidité de la réaction de Ronald Reagan, qui n'a pas attendu 24 heures pour remercier le chancelier d'avoir levé « un obstacle artificiel » à un tel accord, est assez significative des contraintes auxquelles le président américain doit faire face.

Reagan veut entrer dans l'histoire

Certains responsables de l'administration américaine regrettent aujourd'hui que le chancelier Kohl n'ait pas tenu plus longtemps sur le retrait des Pershing IA. Mais la principale préoccupation de la Maison-Blanche, depuis le sommet de Reykjavik, était d'arriver à un accord avec le Kremlin. En pleine crise des Pershing IA, Ronald Reagan déclarait espérer « que le processus engagé à Moscou se poursuivra et que M. Gorbatchev et moi-même pourrons conclure un accord historique sur les relations est-ouest ». Cette déclaration est à rapprocher de la rhétorique antisoviétique du reaganisme de la première heure. Entre les deux : austérité budgétaire, concurrence commerciale japonaise et européenne. Et sur fond d'Irangate, quelques interrogations sur les capacités de l'industrie américaine à faire face aux défis du xxie siècle.