En arrivant au pouvoir, Mikhaïl Gorbatchev héritait donc d'un paysage stratégique que les pacifistes européens n'avaient pas su modifier. Contrairement à la position américaine, qui ne visait que les missiles à portée intermédiaire, la proposition de Mikhaïl Gorbatchev inclut également les engins à courte portée : tout ce qui peut atteindre des cibles comprises entre 500 et 5 000 km est concerné par le protocole d'accord. Ainsi, selon les vœux de Moscou, « il existe une possibilité réelle de libérer rapidement l'Europe d'une partie considérable du fardeau nucléaire. Ce serait un pas important en vue de libérer totalement l'Europe des armes nucléaires ». Ce qui, in fine, s'apparente à ces déclarations d'intention auxquelles les Européens sont habitués dans leur rapport avec Moscou pour tout ce qui touche, de près ou de loin, les affaires de désarmement.

Prompts à repousser un accord qu'ils avaient appelé de leurs vœux, les pays de l'Alliance ont avancé quelques objections qui, de leur point de vue, devaient suffire à ramener à une plus juste vision stratégique la « propagande soviétique ». Il est vrai que les arguments ne manquent pas. Entre l'arsenal chimique, la supériorité conventionnelle et les traditionnelles réserves de Moscou en matière de processus de vérification, la panoplie des objections semblait proprement désarmante. Dans ces conditions, personne ne songerait à être la dupe d'un monde dénucléarisé. Cela allait-il condamner Gorbatchev aux stratégies déclamatoires de ses prédécesseurs ?

Gorbatchev prend les Alliés de vitesse

Au cours d'une visite à Prague, le numéro un soviétique allait balayer les objections des pays membres du pacte Atlantique. Alors même que l'URSS niait jusqu'à l'existence d'armes chimiques sur son territoire, Gorbatchev annonçait que le gouvernement avait mis fin à la production d'armements de ce type : Moscou construirait même une usine destinée à détruire les stocks existants ! Coup de théâtre également sur les armes nucléaires à courte portée. La supériorité soviétique en la matière était la principale objection des Européens à un accord séparé entre les deux grands sur les missiles nucléaires de moyenne portée. Mais Gorbatchev devance les Américains : il est prêt à ouvrir directement des négociations sur les armes dont la portée est comprise entre 500 et 5 000 km. Et d'ajouter, à l'intention des partisans de l'indépendance atomique, qu'il invite Paris et Londres à contribuer à « débarrasser l'Europe des missiles intermédiaires ». Pour mémoire, les missiles français du plateau d'Albion s'inscrivent dans la configuration haute de cette fourchette.

La question des vérifications ultérieures, pierre d'achoppement traditionnelle des discussions est-ouest, a fait également l'objet de percées pour le moins inattendues. Des inspecteurs devraient être admis dans les bases militaires de l'autre partie pour vérifier l'application des accords. Les contrôles concerneraient les missiles, les lanceurs restant en place après les réductions, les centres d'entraînement et les périmètres d'essai. Une délégation américaine était invitée à visiter, en septembre, le site de construction du radar de Krasnoïarsk. Le déplacement était digne d'intérêt : les Américains estimaient que ce radar contrevenait aux termes du traité sur la défense antimissiles de mai 1972 (ABM). Les conclusions de leurs observateurs, qui restent très interrogatives, marquent la limite des vérifications in situ.

Il n'en demeure pas moins que la « transparence » était à l'ordre du jour comme en témoigne la visite de l'UEO à Moscou. Seule organisation européenne compétente pour les questions de défense, l'Union européenne occidentale a été officiellement invitée en URSS pour rappeler la position du vieux continent en matière de désarmement. Grande première pour une organisation qui, à sa naissance en 1954, s'était vu qualifier par les Soviétiques de « serpent venimeux ». Ses représentants auraient même eu la primeur des propositions de Prague. Au chapitre des armes stratégiques, Gorbatchev déclarait : « Les réductions radicales des armements stratégiques offensifs restent le fond du problème. » Dans l'esprit du dirigeant soviétique, ce problème était lié directement à la course aux armements dans l'espace, c'est-à-dire à la condition expresse « que le traité ABM soit strictement respecté ». Or, le programme d'initiative de défense stratégique (IDS) ne pourra respecter cette condition qu'en laissant les armements de l'avenir au stade de l'étude dans les laboratoires de recherche et en oubliant « la guerre des étoiles » (éd. 1986). Si ces contraintes sont acceptées, Moscou propose même un échéancier : réduction sur cinq ans de 50 p. 100 des engins stratégiques, soit une élimination totale des arsenaux de ce type d'ici à dix ans.