Cela dit, la disparition de François Truffaut, celle de Pierre Kast et celle du producteur Georges de Beauregard nous rappellent que la Nouvelle Vague est un phénomène qui, désormais, ne va pas rajeunissant. Chabrol s'est enlisé dans son adaptation désuète du Sang des autres de Simone de Beauvoir et Philippe de Broca dans les marécages de sa Louisiane, après que Jacques Demy en eut abandonné le tournage. Agnès Varda ne parvient pas à faire aboutir ses projets de long métrage et doit se contenter des élégantes vignettes dont elle a le secret (la dernière en date, les Dites Cariatides, a été projetée à Venise en prélude à l'Amour à mort, discrète commémoration du vingt-cinquième anniversaire de la présentation d'Hiroshima mon amour qui était également précédé d'un de ses courts métrages).

Les consolations de ces échecs et de ces silences sont venues de la génération plus jeune, celle qui a abordé la réalisation à la fin des années 60 et qui a fermement pris la relève au cours de la décennie suivante. Tavernier renoue intelligemment avec la tradition de la qualité française dans Un dimanche à la campagne, Tricheurs est le film le plus personnel que Barbet Schroeder ait fait depuis More, son premier film, la Pirate, à demi manqué mais perturbant au plus haut point, prouve que Jacques Doillon demeure, heureusement, incorrigible. Observons un charitable silence sur les échecs de Boisset (Canicule) et de Bertrand Blier (Notre histoire).

Si le jeune cinéma a parfois retenu l'attention, il faut avouer que ce sont les seuls initiés qui se sont émus de Liberté la nuit de Philippe Garrel ou de Laisse béton de Serge Le Péron. À Cannes, Leos Carax a fait courir les festivaliers avec un Boy Meets Girl sympathique, mais qui ne tient que par ses promesses. Ailleurs, Paris vu par... vingt ans après, dont le générique réunit entre autres les noms de Chantal Ackerman, de Philippe Garrel et de Frédéric Mitterrand, n'a pas réussi à obtenir le succès (pourtant assez confidentiel) de son modèle. Avec le contestable Rue barbare, Gilles Béhat, de son côté, a obtenu une approbation bien suspecte, celle qui va au cinéma prompt à satisfaire aux exigences de la mode et qui s'oublie dans l'instant.

Un certain désarroi

Partagée entre la nostalgie du romanesque de l'âge d'or des studios et le désir légitime d'affirmer sa singularité, méfiante à l'égard du rationalisme politisé qui a conduit les jeunes cinéastes à se priver de l'audience du grand public au cours de la décennie précédente et désireuse (Garrel excepté) de s'évader de leurs tours d'ivoire, la nouvelle génération trahit indéniablement un certain désarroi. On la sent prise de l'envie de raconter à la manière des maîtres et, en même temps, effrayée à l'idée de ne jamais en obtenir les moyens. On la devine, surtout, d'une timidité excessive à l'égard des modes, redoutant plus que tout de se placer à contre-courant. On la voit dévorée d'avance par les monstres audiovisuels, vouée, dans le meilleur des cas, aux dramatiques de routine, aux productions fonctionnelles. À l'atelier du prêt-à-porter des clips, espérant qu'elle pourra y produire des chefs-d'œuvre de haute couture.

Tout ne va pas si mal, chiffres en main. Tout ne va pas pour le mieux, il s'en faut, lorsqu'on vient à examiner la nature des œuvres comptabilisées. Et la France demeure sans aucun doute le dernier pays producteur de films où le titre d'auteur ait encore un sens, où il y ait encore un nombre appréciable de professionnels de la réalisation en exercice qui soient dignes de le porter. Un seul regard sur le panorama américain suffit pour s'en convaincre.

États-Unis : Un public jeune

Outre-Atlantique aussi, les chiffres de la production et de la distribution sont satisfaisants. 400 films environ sont sortis en 1984, contre 365 l'année précédente et 330 en 1982. La production, elle, s'accroît dans le même temps d'une trentaine de films. Au cours du premier semestre 1984, le grand vainqueur du box-office était évidemment Indiana Jones, distribué par la Paramount (99 339 623 dollars de recettes), suivi de Gremlins (Warner, 67 290 000 dollars) et talonné par Ghostbusters (champion de la Columbia avec 98 012 036 dollars). Trois superproductions dont le caractère de divertissement juvénile confirme la vocation nouvelle de l'industrie hollywoodienne : séduire un public dont la moyenne d'âge n'a cessé de baisser, le public adulte étant de plus en plus attiré par la consommation de films à domicile, comme en témoigne l'expansion déferlante du marché vidéo. Expansion qui semble pourtant connaître un frein en fin d'année, puisqu'on signale que le nombre d'abonnés aux programmes câblés aurait considérablement diminué.