Le public des salles de cinéma n'étant pas encore exclusivement composé d'adolescents (on signale, avec humour, mais aussi avec quelque apparence de vérité, que les personnes récemment divorcées ayant atteint la trentaine en constituent une fraction mineure mais non négligeable), la production compte toujours un certain nombre d'œuvres répondant à des exigences culturelles plus contraignantes ou se conformant aux schémas traditionnels imposés autrefois par le système des « genres ».

C'est ainsi que les Oscars, cette année, ont été rafflés par Tendres Passions, du nouveau venu James L. Brooks, qui modernise avec une habileté voyante la vieille formule de la saga familiale propre à émouvoir les spectateurs ayant dépassé l'âge des discothèques et que certains vétérans de la mise en scène continuent de travailler en dépit de la malédiction qui pèse, plus que partout ailleurs, dans l'industrie du cinéma américain sur les has been. John Huston, leur doyen (78 ans) a donné avec Au-dessous du volcan une adaptation de Malcolm Lowry fidèle, surtout, aux conventions du cinéma de studio qui a fait sa gloire et qui semble mieux s'adresser au festival de Cannes et à la cinéphilie européenne qu'au public américain qui l'a, d'ailleurs, boudé. Samuel Fuller (73 ans) a carrément travaillé en France, où il a réalisé ses Voleurs de la nuit qui sont, et c'est aussi bien passés inaperçus. Richard Fleisher (68 ans) a joué la carte de la mode enfantine avec Conan le destructeur, second épisode d'une épopée musculeuse, qu'on peut juger consolant dans la mesure où ce vieux routier y retrouve les contraintes stimulantes du cinéma de genre. Blake Edwards (62 ans) et Stanley Donen (60 ans) ont joué celle du remake en refaisant respectivement l'Homme qui aimait les femmes de Truffaut (The Man Who Loved Women, avec Burt Reynolds, qui a ses moments de brio, mais qui se signale par un affadissement regrettable de l'original), et Un moment d'égarement de Claude Berri (Blame It On Rio, qui ne fait que substituer un film médiocre à un autre).

Rien de réjouissant dans cette application de copiste, si ce n'est qu'elle témoigne de l'intérêt croissant porté par les Américains au cinéma français. Intérêt confirmé par le succès obtenu chez eux par Coup de foudre de Diane Kurys et signalé récemment par l'hebdomadaire Newsweek, sensible à la popularité de nos vedettes, au point de choisir une photographie de Nathalie Baye pour sa couverture.

Les chiffres le disent, et nous le signalons par ailleurs, les États-Unis sont devenus notre second terrain d'exportation.

Survivants de l'âge d'or

De franches déceptions nous ont été infligées par Sam Peckinpah (58 ans) avec Osterman Week-end, par Bob Fosse (59 ans) avec Star 80, il n'est pas jusqu'au créateur le plus original des années 60, Robert Altman (59 ans), qui n'ait vivement déconcerté ses admirateurs avec une adaptation théâtrale (Streamers) où ne se lit guère que l'acharnement pathétique d'un cinéaste à filmer à tout prix quand on ne lui en donne plus les moyens. Plus heureux, Sidney Lumet (60 ans), Mike Nichols (52 ans) et Paul Newman (le comédien est éternellement jeune, mais le réalisateur a 59 ans) ont bénéficié de l'apport de sujets qui ne pouvaient laisser personne indifférent, et cela quelle que soit la grisaille de leur mise en film.

Daniel (Lumet) et le Mystère Silkwood (Nichols) ont pu s'attirer l'estime des cinéphiles politisés mais sans pour autant mobiliser les foules. L'Affrontement (mauvaise traduction du Harry and Son de Newman) pouvait toucher la corde sensible de ceux que l'évocation des relations filiales conflictuelles ne laisse jamais indifférents depuis les jours lointains de James Dean.

On oublierait la mélancolie de ce bilan si le cinéma des générations plus jeunes avait su s'imposer par un nombre suffisant d'œuvres d'un poids réel. Or le Rusty James de Coppola renonce à toute originalité profonde pour se limiter aux innovations suspectes de la mode, les Rues de feu de Walter Hill se réduisent aux dimensions d'une fable rock aussi riche de développements qu'un vidéo clip, le Meilleur de Barry Levinson embarque Robert Redford dans une aventure sportive vouée aux clichés les plus dépourvus de style, Yentl, enfin, qui marque les débuts derrière la caméra de Barbra Streisand, n'annonce pas qu'une étoile est née au firmament des auteurs, si le goût du musical classique l'inspire parfois avec bonheur.

Une poignée de films estimables

Il faut bien inscrire ces œuvres au palmarès des meilleurs films américains de l'année, bien qu'aucune d'elles ne semble promise à la destinée d'impérissable chef-d'œuvre.