Le grand problème de l'économie argentine est l'inflation, qui s'est encore emballée en 1984. À cet égard, les réquisitions de stocks et les blocages de certains prix n'on guère d'effets. Et les hausses de salaires accordées sont aussitôt dépassées par celles des prix. L'absence de véritable politique économique, le manque de confiance des détenteurs de capitaux, l'hostilité croissante des syndicats augurent mal de l'avenir.

La démocratie est-elle pour autant menacée ? Sur fond de désillusion généralisée, les rumeurs de putsch n'ont pas manqué en 1984. Une telle issue serait conforme à une certaine tradition argentine, mais l'ensemble de l'opinion paraît encore rejeter une telle éventualité. À terme pourtant, si le redressement économique n'était pas amorcé, le retour à une forme de pouvoir autoritaire, dont l'armée et les syndicats péronistes sont les vecteurs, ne peut être exclu.

Jean-Louis Buchet

Brésil

Le tourbillon de la misère

Pour le Brésil, 1984 restera l'année des chiffres records : 30 millions d'enfants errants dans les favelas (les bidonvilles) et dans les banlieues les plus pauvres et les plus laides du monde. À Rio, comme à São Paulo, à Belo Horizonte, à Recife ou à Bahia...

Encore des chiffres éloquents : une mortalité infantile jamais atteinte dans ce pays, 500 ‰, soit un nouveau-né qui meurt toutes les vingt minutes.

Autre score : une dette extérieure de 100 milliards de dollars ; c'est la dette extérieure la plus élevée de la planète. Et, pourtant, le Brésil va peut-être donner au monde une première démocratique avec les prochaines élections présidentielles prévues pour le 15 janvier 1985.

L'enjeu des diretas

C'est en effet avec les manifestations en faveur des diretas, des élections présidentielles directes, que le pays s'est réveillé. Tout le Brésil occupe les rues depuis l'hiver jusqu'au printemps 1984 aux cris de Diretas Ja, « les élections directes pour maintenant ». On y danse même sur un rythme de samba. En avril 1984, les manifestations atteignent leur apogée. Près de 2 millions de Cariocas dans les rues de Rio, pas loin de 3 millions de Paulistes dans les artères de São Paulo.

Le Congrès (Chambre des députés) se réunit le 15 avril à Brasilia, capitale fédérale, pour voter un amendement à la Constitution qui autoriserait les Brésiliens à choisir leur président au suffrage universel. Non pas en 1991, mais dès 1985. Ce serait la fin de l'élection indirecte telle qu'elle se pratique actuellement, par l'intermédiaire d'un collège de grands électeurs.

Que signifie une telle exigence dans un Brésil gouverné depuis vingt ans par une robuste direction militaire ? À quoi cette large revendication de modernisation des institutions renvoie-t-elle, à l'heure d'une crise économique extrêmement grave, et d'une rupture d'équilibre social sans précédent dans un pays grand comme quinze fois la France ?

Le Congrès, qui se réunit le 15 avril dans une capitale mise en état de siège va rater, de peu, le rendez-vous que les rues des grandes métropoles brésiliennes lui avaient fixé : 300 parlementaires votent en faveur de l'amendement. Il n'en manque que 20 pour atteindre la majorité requise des deux tiers.

C'est dire à quel point les partisans des diretas étaient nombreux, jusqu'au sein de l'appareil gouvernemental. Le vice-président lui-même, Aureliano Chavès, s'était prononcé en faveur d'une telle décision... Le pays semblait prêt. Les militaires avaient en effet inauguré, à partir de 1979, une politique d'ouverture : amnistie générale, retour des exilés et, en 1982, élection directe des gouverneurs de 22 États, permettant ainsi à l'opposition une représentation importante, voire majoritaire. C'est ainsi que le parti gouvernemental, le PDS (Parti démocratique et social) avait obtenu 39,05 % des voix, alors que le PMDB (Parti de la mobilisation démocratique brésilienne) en avait réuni 53,7 %.

Duel présidentiel

Le collège électoral qui doit élire le président en 1985 comprend, lui, des proportions exactement inverses : PDS à 52 %, PMDB à 40 %. L'homme qui semble rassembler la plupart des suffrages autour de son nom s'appelle Tancredo Neves. Les milieux d'affaires, et notamment les plus influents, comme ceux de la capitale financière qu'est São Paulo, se déclarent ouvertement en sa faveur. Le candidat du PDS, pourtant ex-gouverneur de São Paulo, Selim Paulo Maluf, bénéficie de l'appui des représentants des régions intérieures du Brésil, plus pauvres, plus rurales et mieux contrôlées par le pouvoir. « Tancredo Ja » criait la rue. « Tancredo tout de suite ». Tancredo Neves, rival de Paulo Maluf et candidat incontesté de l'opposition — de tout l'éventail oppositionnel —, apparaît comme le candidat rêvé pour 1985. 74 ans, rond et débonnaire, gouverneur du Minas Gerais, l'État qui ferme le triangle d'or brésilien avec Rio et São Paulo, Tancredo Neves apporte toutes les cautions désirées.