Homme de dialogue, protégé des accusations de corruption qui pèsent sur son rival, il incarne la légitimité républicaine, puisqu'il fut ministre de João Goulart, dernier président civil, avant le coup d'État militaire de 1964. Avec Tancredo Neves, les militaires sont en outre confiants : il n'y aura pas de revanchisme de style argentin, ni de rupture spectaculaire avec le FMI. Si modification de la Constitution il y a, avec Tancredo Neves, le pouvoir actuel est assuré d'une transition douce.

Encore faudra-t-il qu'en janvier 1985, la peur des dirigeants brésiliens soit surmontée et que les suffrages du PDS se portent, au sein du collège des grands électeurs, sur Tancredo. La voix de la modération et de la sagesse va-t-elle enfin l'emporter ? Pour l'heure, les Brésiliens sont désenchantés. La dérive du pouvoir, l'échec de la revendication des diretas laissent aux citadins du Brésil un goût amer : celui de lendemains qui se nomment violence, faim, misère, chômage.

Déchaînement de la violence

1984 a été l'année la plus dure pour le Nordeste, qui véhicule son lot quotidien de nouvelles terribles : une population tout entière, des enfants, des nouveau-nés mourant de faim et de soif. On les avait appelés les « petits anges de la sécheresse ». Les sinistrés, les flagelados, littéralement « ceux qui sont flagellés par la sécheresse », sont venus grossir la population urbaine. En ville même, l'eau vient à manquer. Ni le gouvernement, qui ouvrait des fronts de travail, ni l'Église, dépassée par l'ampleur de la catastrophe, ne peuvent éviter l'exode massif.

Misère des réfugiés et chômage accru ont pesé sur la partie vitale du Brésil et sur ses villes, qu'ils ont emportées dans la tourmente. 1984 voit se confirmer et s'accroître les chiffres effrayants de la criminalité urbaine. Une question que les Brésiliens à coup sûr vont poser à leurs gouvernants en 1985, quels que soient par ailleurs les dirigeants qui seront portés au pouvoir. C'est dans le cadre d'une enquête officielle que 70 % des habitants interrogés à Rio de Janeiro se déclarent favorables à la peine de mort et 26 % en faveur du lynchage.

São Paulo, avec ses 13 millions d'habitants, est désormais considérée comme la ville la plus meurtrière du monde. Les forces de police qui surveillent 76 000 quadras (blocs) ne peuvent même plus pénétrer dans certains quartiers : 45 d'entre eux ont été abattus en un an. Justice est donc faite, sur place, dans la rue ou dans les bars. C'est ainsi qu'un homme de 33 ans soupçonné de meurtre sera condamné à mort par les habitants d'un quartier, qui voteront la peine capitale à main levée. Après un dernier verre de rhum et une ultime cigarette, il sera exécuté à coups de battes, de bâtons. C'est encore à São Paulo qu'un jeune garçon de 15 ans, Jefferson Figueira, est capturé après avoir volé un collier. On le bat jusqu'à ce que mort s'ensuive, avec l'approbation des passants.

À Rio, l'atmosphère est semblable. Au petit matin, on découvre les corps des suppliciés — strangulation au fil de fer barbelé ou guillotine improvisée à l'aide de battants de fenêtre — dans les banlieues, où les escadrons de la mort qui abattaient syndicalistes et opposants se sont reconvertis dans la lutte contre la délinquance. On trouve, dans les agglomérations, des tueurs à gage pour 20 000, 30 000 ou 50 000 cruzeiros (de 150 à 400 F). Des gangs d'adolescents abandonnés et miséreux rackettent et tuent. La peur au Brésil ne gagne pas seulement les militaires, mais aussi les classes moyennes, qui ont manifesté pour les diretas.

Cercle vicieux

Cette violence renvoie à des chiffres particulièrement éloquents : 30 % de la population active au chômage, 308 000 enfants de moins d'un an qui meurent de malnutrition, pour la seule année 1984.

Les révoltes, qui affectaient particulièrement jusqu'ici les populations paysannes du Nordeste ou du Centre, se propagent jusque dans le Sudeste industrialisé. Dans l'État de São Paulo, les coupeurs de canne, machettes au poing, prennent d'assaut plusieurs localités. En dépit de l'intervention d'une police armée de mitraillettes, le pouvoir doit céder aux revendications des émeutiers. Il en est de même pour la grève déclenchée par les 20 000 chercheurs d'or de la Serra Pelada, pour empêcher la fermeture annoncée des mines.