Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

Ce mouvement a partie liée avec de nombreux groupes de jeunes peintres et de graffitistes.

Le nouvel espoir de la jeune génération

Rafik a enfin ouvert, mais trop vite fermé, sa boutique cette année. Une autre espérance, Chatoune, joue, comme ses amis peintres du groupe des Musulmants Fumants, avec l'imagerie populaire tiers mondiste. Ses robes, aux couleurs violentes et aux suggestions naïves, sont inspirées des chanteuses populaires du Moyen-Orient. La rue Quincampoix, la plus branchée de Paris, a accueilli les tout nouveaux espoirs du « Dépôt », la caverne d'Ali Baba ouverte par Christian Wolf. Dans la capitale, qui s'interroge sur la montée en puissance des Italiens et des Américains, la relève s'organise.

Jean-Paul Gaultier est resté le créateur consacré le plus proche des modes branchées. Son intérêt pour le milieu du rock (il est le plus cité dans The Face) et de la nouvelle danse (il a habillé la troupe de Régine Chopinot) fait de lui le médiateur idéal entre les stylistes spontanés de la rue et le monde de la mode légitime — et distribuée. Son humour juvénile s'éclate en détournements quasi situationnistes des vêtements de base (pulls-cagoules, robes-tailleurs, etc.). Presque tous les points forts de la mode 84 sont présents dans ses collections : les poches décollées aux hanches d'un été, les polos ou les jupes nouées à la taille et en général les drapés, dont le faux négligent pourrait bien constituer une réplique aux vêtements sans coupe des nouveaux Japonais. Pour l'hiver, les cagoules, pulls-cagoules, écharpes-cagoules, etc., mais aussi les fuseaux et les jodhpurs, qui reviennent en force, après une tentative avortée chez les branchées autour de 1980.

Les jupes de Gaultier, comme celles de tous les autres, rallongent pour l'hiver. L'accessoire indispensable de la saison semble être la cravate chez les filles, dont le port s'accompagne d'un regain du costume et des gilets d'hommes. Bienvenues également, les superpositions de veste et de cardigans de différentes longueurs, surtout si elles permettent de marier les tweeds. Look émigrant, diagnostique Paco Rabanne, qui y voit le pressentiment de catastrophes à venir.

Les stars de la couture

Avec Gaultier, c'est toute la génération des 35 ans qui triomphe enfin. Thierry Mugler n'a-t-il pas fait salle comblée au Zénith, où il fêtait ses dix années de création — comme n'importe quelle star de rock ? Montana poursuit ce qu'il faut bien appeler une œuvre, marquée par l'onirisme. Sa silhouette épaulée, même s'il l'a adoucie au fil des ans, et son inspiration martiale rencontrent, cet hiver, un des courants dominants. Une étrange impression de puissance contenue se dégage de ses modèles. Il y a désormais un look Montana, qu'on retrouve sur une partie de ses clientes-fans, qui se bousculent à ses défilés.

Parmi la nouvelle génération, également, Élisabeth de Senneville, en contact suivi avec le milieu de l'avant-garde graphique, s'impose progressivement. Elle illustre bien cette prophétie de Largerfeld, selon qui les avancées de la mode tiendraient dorénavant à l'utilisation de matières nouvelles. Azzedine Alaïa continue à créer, en artisan, les robes moulantes les plus sexy de Paris et rencontre un écho dans un public de plus en plus large. Parmi les promues, Doby Broda, 25 ans, est passée en un an du statut d'espoir à celui de créatrice à part entière, plébiscitée par la presse spécialisée. Quant à Saint-Laurent, Kenzo, Lagerfeld et Sonia Rykiel, leur place reste au sommet, dans cet Olympe de la mode où siègent les déjà-classiques. On déplore la disparition de France Andrévie, à 38 ans, dont le rêve de tout quitter et de partir vivre à Ceylan ne se réalisera jamais.

L'année aura été marquée par la publication du premier livre vraiment exhaustif sur les looks des moins de 25 ans. Les Mouvements de mode expliqués aux parents d'Obalk, Soral et Pasche ont mérité leur immense succès de librairie. C'est que ce livre ne se contente pas de recenser à peu près tous les looks en circulation depuis vingt ans, mais il en analyse la signification, décrit les mœurs des tribus qui se reconnaissent à travers eux. Sous son apparente dérision, se dissimule une espèce de travail d'ethnologue, extrêmement précieux.

Offensive italienne

Les Italiens disputent aux Français l'immense marché américain. Giorgio Armani, Enrico Coveri, Gianfranco Ferre et Gianni Versace restent les plus sophistiqués. On parle beaucoup d'une nouvelle génération milanaise, plus underground et audacieuse, dont Franco Moschino serait le prototype. Les créateurs les plus délirants de l'année, on les découvrira du côté de nos voisins britanniques. Là-bas, la profusion des lieux de nuit et l'audace des petites « night-clubbeuses », leur passion du déguisement et de la fête stimulent l'imagination de Vivienne Westwood, qui s'est séparée de son complice Malcolm McLaren. Les looks dominants restent marqués par l'explosion de la période « nouveaux romantiques » (1980-81) et par l'omniprésence du rock et de ses mythologies. La rue à Londres est incroyablement colorée (jusqu'aux cheveux) et la manie du tout-en-noir, qui avait fait les beaux jours du look « bat-cave » et persiste encore à Paris, semble définitivement abandonnée.