Journal de l'année Édition 1985 1985Éd. 1985

Le même néo-psychédélisme atteint à présent les États-Unis, avec Stephen Sprouse, et commence à poindre en France, avec Chachnil. Cette très jeune et très underground créatrice, efficacement relayée dans le milieu de la peinture par Nira Childress, a présenté au président de la République, lors de la Fête des jeunes créateurs, ses pantalons taille basse roses et à pattes d'éléphants. On ignore la part de dérision exacte que contient cette réhabilitation de la mode la plus laide qu'ait connue les années 60-70, tout comme, d'ailleurs, l'impression qu'elle a pu produire sur François Mitterrand.

Le rétro

C'est une spécialité du look rock français qui, se complaisant dans la répétition à l'identique, continue d'explorer méticuleusement les années 50. Le style collège girl on preppy, en queue de cheval, robe bouffante à ceinture large, socquettes et chaussures plates, se rencontre aux concerts de rockabilly revisité par des groupes comme les Costars. Les garçons ressemblent à des GI rentrant juste de Corée : cheveux en brosse, chemises à carreaux, pantalons larges.

La tribu française des cats (mais aussi les muds anglais) produit une version particulièrement ressemblante de cette mode typique de l'Amérique des fifties. La jeune bande dessinée française (Ted Benoît, Serge Clerc, Jean-Luc Floch), à l'origine de bien des looks, en raffole. Une population plus large a fait un accueil délirant à deux accessoires typiques de cet état d'esprit : les lunettes Ray Ban wayfarer noires (celles-là même que portait James Dean et que, pour se distinguer, les branchés ont commencé à porter en bois clair, cet été) et les bijoux massifs, aux pierres carrées.

Le milieu du rock ayant épuisé tous ses rétros, les musiciens anglais les plus créatifs ont commencé à se pencher sur le swing et les musiques latines du genre cha-cha-cha et mambo. Joe Jackson, Style Council, Sade ou encore Carmel ont ainsi donné naissance à un nouvel engouement pour le look glamour des chanteuses sophistiquées de 1956-58, genre Julie London, ou les robes à pois et anneaux créoles des groupes « typiques » de 1958.

Les plus audacieux des radoteurs ont commencé à se pencher sur les années 40, accouchant d'un look Occupation, auxquels les créateurs ne sont pas restés insensibles. C'est le grand retour du béret, des manteaux lourds à chevrons ou chinés, de la canadienne et des écharpes foncées. Mélancolie froide et désenchantement. Les garçons atteints de cette nostalgie ont laissé repousser leurs cheveux, qu'ils plaquent au-dessus des oreilles, elles-mêmes dégagées, et qu'ils laissent retomber en mèches rebelles et raides sur la tempe, comme les zazous d'antan. C'est le look dominant au Café Costes, du plus pur style années 80, dont la conception et la décoration sont entièrement dues au désigner Philippe Starck.

Retour au classique

L'été a vu éclore une folie de l'écossais, que l'hiver amplifie. Les vestes, pantalons et jupes clans constituent une des tendances lourdes à venir, dont Kenzo peut sans doute revendiquer la paternité, lui qui fait figurer ce thème dans ses collections depuis deux ans. Une réhabilitation de plus, après celle du prince-de-galles, du pied-de-poule et des chevrons, qui confirme que la tendance générale est au néo-classicisme.

La maquette des magazines les plus chics, comme l'initiateur Égoïste, le géant The Manipulator ou City International, avait déjà donné la couleur : noir, sobre, sévère — néo-classique. Et force est de constater que le noir, dont on avait prédit l'essoufflement, se maintient cet hiver, surtout le soir. Signe des temps : Saint-Laurent l'a conservé pour sa collection haute couture. Certes, le noir intégral des punkettes aux yeux débordant sur la joue commence à dater quelque peu ; la sinistrose ennuie. Mais le Jardin des modes de septembre avait bien annoncé la tendance : « En mode aussi, la rigueur est de rigueur. Les formes de la rentrée sont celles des uniformes. Les couleurs rappellent l'armée. »

Le même mois, l'audacieux magazine Jill sortait un numéro spécial Est/Ouest. Depuis quelque temps déjà, certains adeptes de la néo-« new wave » à tendances industrielles échangeaient mystérieusement badges de Lénine contre ceinturons de l'Armée rouge. Une espèce de grand chic soviétique inspire les nouveaux Japonais, amoureux des matières sauvages jetées sur le corps, comme aussi le look collabo (dixit Jill) de certaines propositions de Stephen Sprouse. On se déguise donc en ouvrières modèles avec les vêtements très chers de Rei Kawabuko, dont la marque Comme des garçons a lancé le genre nouveaux pauvres, il y a déjà deux ou trois saisons. L'allusion est plus manifestement militariste chez certains créateurs, et le Jardin des modes met en scène cette fascination nouvelle des austères disciplines du pacte de Varsovie. Il aurait été étonnant que les tensions internationales et le regain manifesté en littérature pour « l'autre Europe » ne produisent pas, dans les looks aussi, leurs effets. Une espèce de brutalité virile et slave (les pommettes se portent saillantes, cette année) et décoiffée, très réaliste-socialiste, est remarquable pendant l'hiver, du côté des garçons. Elle rencontre le look body-buildé et mécanique du très beau clip de Mondino pour Axel Bauer, Cargo de nuit. Il ne reste plus au milieu gay pour se distinguer que le port du capuchon ou du foulard en pointe, look Bronski Beat.

À l'opposé de ce look continental

Le thème du métissage a engendré le style hip-hop (en français smurf, sans que jamais personne ait pu expliquer pourquoi) : pantalons de training, tee-shirts déchirés et peints à la main, casquettes de travers. Les petits frères des restas, aux bonnets de laine vert-jaune-rouge, dansent au cœur des villes. À la passivité révoltée et vaguement mystique de leurs aînés, ces cadets opposent leur exubérant optimisme, leur espoir en une France du mélange.