La pression est forte, et une vingtaine d'équipes, dont certaines liées à des partis politiques (PCF, PR...), s'apprêtent à jouer les pirates, quand ce n'est déjà fait. Position de repli possible des pouvoirs publics : autoriser, en nombre limité, des télévisions par voie hertzienne, en préfiguration sur des sites à câbler. C'est la position défendue notamment par Jacques Dondoux, directeur général des télécommunications, et par Bernard Schreiner, député socialiste des Yvelines et président de la mission TV câble. Sans soupape de sûreté de cette nature, et compte tenu des lenteurs actuelles, les télévisions libres pourraient bien jouer en 1986 le rôle des radios libres en 1981...

Cela n'est que broutille comparé aux enjeux de la bataille qui va se livrer dans le ciel. Objectif : maintenir grâce à de nouvelles chaînes par satellite une culture française et européenne, et éviter le déferlement des images américano-nippones. Aussi le gouvernement a-t-il confirmé les choix antérieurs de lancer le programme de télévision directe TDF 1 et TDF 2, le premier satellite devant être opérationnel en 1986. Sur les quatre canaux disponibles, deux seront confiés à la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion : l'un pour RTL-télévision en français, l'autre pour une chaîne en allemand.

L'offensive anglo-américaine

Pierre Desgraupes, qui a quitté à la fin de l'année la présidence d'Antenne 2 (remplacé par Jean-Claude Héberlé), va préparer une nouvelle chaîne de service public, en collaboration avec les sociétés actuelles. Ce grand professionnel de la télévision, écarté de la deuxième chaîne malgré le soutien de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (en vertu d'une nouvelle loi sur l'âge de la retraite dans le secteur public), va retrouver là un travail à sa hauteur. Le quatrième canal de TDF 1 pourrait être occupé par le programme TV5, réalisé en collaboration par toutes les chaînes européennes francophones (France, Belgique, Suisse) et diffusé actuellement par le satellite ECS 1.

La France tente ainsi de répondre à l'offensive anglo-américaine sur le vieux continent. Celle-ci se traduit notamment par l'envoi au-dessus de nos têtes de la chaîne britannique de vidéoclips Music-Box, après Sky Channel. Mais, surtout, par le projet luxembourgeois Coronet, rival du programme TDF. Malgré les assurances données à la France par le gouvernement du grand-duché, Coronet pourrait bien être la tête de pont de l'offensive américaine, à travers une autre chaîne britannique, Première, et la plus importante chaîne payante américaine, Home Box Office, intéressées au projet Coronet.

La production

Et l'on en revient, comme pour Canal Plus, comme pour les réseaux câblés ou les télés libres par voie hertzienne, à la question cruciale qui conditionne le développement télévisuel français : la production. Les vidéoclips envahissants satisfont présentement la soif d'évasion d'un public jeune. Ils ne peuvent faire à eux seuls de bons programmes... Une heure de fiction revient en moyenne à 3 millions de F ; l'information et les variétés elles aussi, coûtent cher. L'économie d'une chaîne de télévision, qu'elle soit nationale ou locale, n'a rien à voir avec celle d'une radio libre...

Or les industriels privés tardent à s'engager à fond dans cette bataille de la production, estimant en particulier que le poids trop grand du secteur public dans ce domaine fausse les règles du jeu de la concurrence. Les efforts de l'État — à travers l'assainissement de la Société française de production, le fonds de soutien à l'audiovisuel, la mission TV câble, etc. — ne parviennent pas à déclencher un mouvement dont l'ampleur réponde aux besoins de programmes pour les années à venir et qui permette à la France de se placer sur un marché dominé mondialement par les États-Unis.

Monopole

Voilà aussi relancé le débat public-privé, que Pierre Desgraupes — encore lui — a su poser courageusement dans une interview au Monde (22 février). Débat qui évolue nettement en faveur des thèses libérales. Les partisans du tout-État sont de plus en plus isolés, essentiellement autour du Parti communiste français. Les socialistes restent favorables à la thèse officielle de l'économie mixte et certains sont gagnés au moins d'État.